Pluridisciplinarité, interdisciplinarité, transdisciplinarité

PLURIDISCIPLINARITE-INTERDISCIPLINARITE-TRANSDISCIPLINARITE

Alain DEPAULIS et coll.

Discussion née de nos échanges, à prolonger …..

Lors de la réunion du groupe de recherche, le 6 janvier 2017, la question du choix du terme « Pluridisciplinaire » a été soulevée. En effet, à l’occasion des échanges avec les équipes ce choix a été régulièrement questionné :

 Elsa RONCHI

  • Pourquoi avoir choisi la notion de pluridisciplinarité et non celle de multidisciplinarité ?

Yves-André VIMONT

  • Nécessité de clairement définir et distinguer interdisciplinarité et pluridisciplinarité.

Jérôme VACHON (ASH)

  • « La notion de pluridisciplinarité vous semble-t-elle en émergence, sur le déclin ou inscrite à long terme dans le paysage social ? » (Question issue d’un questionnaire posée à quelques personnes identifiées comme experts, en vue d’un N° spécial des ASH, préparant un colloque sur ce thème de l’innovation dans le secteur social.)

Martyne Isabel FOREST

  • Madame FOREST, Avocate, souligne que les canadiens préfèrent aujourd’hui parler d’interdisciplinarité plutôt que de pluridisciplinarité.

J’ébauche une réponse, que j’ai précisée après l’échange avec Madame FOREST (le 15/03/17). Chacun est invité à rebondir, pour la prolonger ou la réinterroger.

 

Pluridisciplinaire, interdisciplinaire, transdisciplinaire ? La question lexicologique s’est immédiatement imposée à certains d’entre nous. Or elle est essentielle à l’orientation de notre démarche. Il n’est pas possible de faire l’impasse d’une clarification de ces trois termes. Sans doute faudrait-il aussi s’arrêter sur certaines variantes avec les nuances qu’elles apportent, tels multidisciplinaire, polydisciplinaire (nombreux, divers), codisciplinaire (avec), intradisciplinaire (à l’intérieur), métadisciplinaire (au-delà)… Pour s’en tenir aux trois notions les plus utilisées, nous constatons que les auteurs qui s’essaient à l’exercice de clarification ne parlent pas de la même place, n’en font pas le même usage. Par exemple, la notion de pluridisciplinarité n’a pas la même implication lorsque l’on parle « d’enseignement pluridisciplinaire » et lorsque l’on parle « d’équipe pluridisciplinaire ». Dans le premier cas, le but est de transmettre des connaissances issues de disciplines différentes, dans le second, l’objectif est de servir l’usager à partir de connaissances diverses. Dans le premier cas l’objectif est didactique, dans le second il est opérationnel et implique des interactions, c’est-à-dire de l’interdisciplinarité.

Une première définition inévitablement statique en découle : la pluridisciplinarité est une juxtaposition, une superposition de points de vue, d’analyses, d’expertises, sans lien, sans unité. Et logiquement c’est l’interdisciplinarité qui introduit la dynamique nécessaire à l’échange et au lien. Dans cet esprit, Jacques LADSOUS, pédagogue, nous offre cette classification : « pluri, inter, trans, le premier constate, le second met en relation et le troisième tisse entre les personnes quelque chose de nouveau. »

Cette définition a le mérite de la simplicité mais elle ne rend pas compte de la complexité de la pluridisciplinarité dans les sciences humaines. En particulier dans le champ médico-social lorsqu’il s’agit d’appréhender les registres médicaux, psycho et sociaux qui interagissent sur leur objet d’étude : l’homme. Dans le champ médico-social, l’interdisciplinarité doit faire face à un ensemble particulièrement complexe. La rencontre des acteurs : médecins, psychologues et travailleurs sociaux ne se cantonne pas à un simple échange de savoirs, de connaissances, d’informations…. C’est une tentative périlleuse de faire se croiser des registres épistémologiques très différents, des méthodes parfois opposées, des services aux missions distinctes sans négliger les interactions des subjectivités… Dans ce cas l’échange interdisciplinaire, surtout lorsqu’il tend vers une synthèse, est exposé à l’approximatif, à la confusion, aux amalgames…

La question technique se pose ainsi à nous : dans ce champ médico-social, la pluridisciplinarité ne saurait être un simple empilement de savoirs disjoints, mais il ne doit pas d’avantage devenir un mélange confus des expertises. Dans une pluridisciplinarité « clinique » ou « dynamique », au-delà du constat c’est la question de la méthode qui est posée : Comment pratiquer l’interdisciplinarité ? Comment mettre en relation des savoirs différents, sans les pervertir ?

Afin d’éviter toute ambiguïté conceptuelle et méthodologique à notre projet il est indispensable de faire ce détour lexicologique qui s’appuie sur l’expérience de la pluridisciplinarité dans la clinique.

Pluridisciplinarité : Plusieurs spécialistes s’associent pour étudier un objet commun dont chacun ne connait que l’aspect inhérent à son champ d’application. C’est la rencontre de chercheurs ou de praticiens de disciplines différentes, réunis autour d’un objectif commun, mais conservant chacun leur spécificité conceptuelle et méthodologique. La pluridisciplinarité se construit sur la reconnaissance mutuelle, elle prend acte de l’altérité professionnelle, ce en quoi elle optimise l’ouverture au savoir de l’autre. Ce positionnement clair favorise ainsi la meilleure communication possible entre les savoirs.

Synonyme de multidisciplinarité, il lui est préféré pluridisciplinarité dans l’intitulé de la démarche en raison de la racine pluri et de l’éventail qu’il recouvre : plural, pluriel, pluralité, pluralisme, pluraliser…

Interdisciplinarité : Le préfixe inter signifiant entre, qualifie aussi bien la séparation que le lien, ce qui sépare et ce qui relie. Dans la pratique, elle met en œuvre la collaboration entre les disciplines, elle tend à réduire les cloisons. Elle se caractérise par l’échange entre deux ou plusieurs disciplines au profit d’un enrichissement mutuel voire de transferts de connaissance, de méthodes voire même de concepts mais au risque de confusions voire d’impasses épistémologiques. Elle désigne légitimement les effets produits par l’intervention conjointe de plusieurs agents de disciplines différentes : dynamique interdisciplinaire. Par exemple : l’étude des fossiles humains a ainsi énormément bénéficié de ses échanges avec la géologie, la climatologie et la physique… (cité par André BOURGUIGNON, De la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité, Net). Le transfert de techniques né de l’interdisciplinarité est courant et fécond… Les apports théoriques d’une discipline à une autre : Lacan a puisé dans la physique les schémas optiques qui illustrent sa thèse sur l’imaginaire…

Transdisciplinarité : désigne un savoir qui traverse plusieurs disciplines indépendamment, au-delà de leur cadre épistémologique. Elle transcende les connaissances compartimentées. Elle permet de percevoir des continuités insoupçonnées, des incidences, mais aussi des contradictions troubles… C’est le terme qui souffre le moins d’ambiguïté mais pose une question majeure : comment tendre vers une perspective transdisciplinaire ?

Dans notre hypothèse de recherche, caractérisant la clinique en partenariat, le champ pluridisciplinaire désigne donc le socle de référence de chaque partie, celui qui par-delà la rencontre interdisciplinaire, conservera sa spécificité conceptuelle. Cette base suppose une reconnaissance de l’altérité personnelle et professionnelle. C’est à partir de cette garantie que la dynamique interdisciplinaire peut se déployer. Les échanges pourront alors être houleux, embrouillés, polémiques, conflictuels ou bien sereins voire fusionnels ! C’est dans cet espace intermédiaire inédit, nourrit de la richesse de chacun que les protagonistes s’entre-fécondent. A l’issue de la rencontre, si chaque acteur a pu exprimer son point de vue, si réciproquement il a su écouter les développements de chacun de ses interlocuteurs, il peut tendre vers une perspective transdisciplinaire. D’une part, parce que la vision panoramique lui donnera une lisibilité des effets des interactions des différents acteurs sur leur objet d’étude commun. D’autre part parce que cette intelligibilité de l’ensemble de la situation aura un effet rétroactif sur sa propre intervention auprès de la personne en soin.

Ainsi donc, faut-il privilégier l’interdisciplinarité au dépend de la pluridisciplinarité ? Peut-on se priver de l’espace original que recouvre chacun de ses trois concepts : pluri-inter-trans ? Peut-il y avoir une interdisciplinarité sans référence à une pluridisciplinarité ordonnée ? Ne sont-ils pas étroitement liés, voire indissociables ? Cette articulation entre pluridisciplinarité, interdisciplinarité et transdisciplinarité nous semble répondre au mieux à la problématique de la complexité car elle respecte la singularité de chacun, permet de relier les savoirs sans la dénaturer et ouvrir l’espace qui nous transcende par-delà nos différences. C’est un acte de reliance dans l’esprit des travaux d’Edgar MORIN.

A suivre…