Le management de proximité à distance. Laurence PIRRERA


LE MANAGEMENT DE PROXIMITE à DISTANCE.

Une évolution managériale pour les cadres de santé.

Laurence PIRRERA

Mots clés : management de proximité, management à distance, performance managériale, relation managériale, confiance.

Résumé :

L’organisation des hôpitaux en constante évolution, est dictée par des facteurs qualitatifs,  quantitatifs. Les cadres de santé, piliers du changement dans l’organisation, sont eux même soumis à de profondes réorganisations dans leurs missions.

Les établissements de santé comptent sur des cadres de plus en plus performants sur des missions multiples, encadrant parfois plusieurs services. Le cadre de proximité ne peut être physiquement présent sur de multiples lieux se trouve alors en situation de management à distance.

Le management à distance amène un changement pour le cadre de santé dans la façon d’appréhender ses missions : en cela il peut être qualifié d’évolution managériale.

Ce travail à  logique déductive cherche à identifier  les éléments sur lesquels le cadre de santé peut s’appuyer pour répondre à ces nouvelles missions, les éléments de performance du management à distance.

La question de recherche retenue pour ce travail est la suivante : en quoi le cadre de santé manageant à distance peut-il développer un management performant ?

Une phase de recherche conceptuelle ciblera des auteurs ayant travaillé sur les thèmes du management de proximité et du management à distance afin de poser le cadre de notre travail. Puis une enquête de terrain nous permettra d’étudier le vécu des cadres de santé manageant à distance. La mise en perspective de ces deux phases permettra d’aboutir à des propositions managériales sur la base de notre analyse.

Introduction

Avec l’évolution du secteur hospitalier, les métiers de l’hôpital se trouvent profondément modifiés et doivent s’adapter à ces changements.

Parmi ces métiers, celui de cadre de santé, fait partie de ceux qui ont le plus évolué au regard de nouvelles exigences réglementaires, économiques, organisationnelles (organisation polaire, Groupements Hospitaliers de Territoire etc…)

Dans les années 50, le « surveillant » ou « infirmier chef », nommé à l’ancienneté ou selon les services rendus, a la responsabilité d’un service dont il est issu et suffisamment proche pour identifier la demande. Son rôle de commander et de surveiller.

En 1990, une circulaire vient décrire les fonctions du « cadre infirmier » sous quatre  axes : technicité, information, relation/communication et la contribution économique.

Depuis la création du diplôme en 95, le cadre est devenu progressivement cadre de santé, responsable d’unité de soin et veille à la qualité du soin et à son organisation.

Cette évolution de la fonction  traduit une mutation profonde depuis une génération. Le cadre ne commande plus : il anime, écoute, communique, motive, régule.  Il est formé et sensibilisé aux dimensions humaines du travail : la reconnaissance, la confiance, le sens.  Il supervise, fait le relais entre les salariés de terrain et la direction. Il est également appelé à participer à des missions stratégiques. Ses tâches se diversifient, sa position est vraiment celle d’un manager. Le cadre assure des missions de proximité avec ses équipes, ainsi que le rapport Singly (2009) ou la fiche métier « encadrant d’unités de soin » actuelle le stipule.

Mais le paradoxe est que ces nouvelles pratiques surviennent alors même que le contexte économique se durcit et vise à la rationalisation du personnel.

À l’hôpital, les budgets de personnel se réduisent alors que les missions augmentent, et avec l’augmentation de l’activité ambulatoire,  il n’est pas rare qu’un cadre supervise plusieurs services et donc plusieurs équipes, parfois sur plusieurs sites géographiques.

En parallèle une demande forte en qualité exige du cadre de la performance, ses missions sont nombreuses, parfois transversales ou stratégiques. Il doit gérer plusieurs unités de soins parfois à distance tout en répondant à des  missions opérationnelles de proximité.

La présence non permanente du cadre de santé sur les différentes unités qu’ils encadrent le place t’il en situation de management à distance ?

Si tel est le cas, le cadre de santé se trouve-t-il dans un paradoxe  entre la proximité et la distance ?

La proximité signifiant le premier niveau de management dans une organisation, pouvons nous considérer que le cadre est dans cette situation s’il gère plusieurs services ?

Le cadre de santé peut-il être performant dans son management sans être présent auprès de ses équipes en permanence ?

S’agit-il d’un nouveau mode de management sur lequel il faut adopter d’autres outils et techniques managériales ?

Quels sont les avantages et les risques pour le management de proximité lorsque le manager n’est pas présent en permanence ?

 

Une expérience qui interroge et mène à une recherche 

L’intérêt pour ce sujet repose sur notre expérience, puisque cadre de santé au sein d’un pôle composé de sept services répartis sur un tiers du département, notre mission est d’encadrer les équipes pluridisciplinaires à distance pour ces sept unités. Il faut motiver, faire collaborer, dans un souci de qualité, et de cohésion.

Par ailleurs, un article datant de 2013, paru dans soins cadres, et mettant en avant la tendance au développement du management à distance pour les cadres de santé, avait déjà attiré notre attention.

Cette expérience et lecture nous amène à plusieurs constats et questionnements.

Dans une activité managériale « classique », être auprès des équipes donne une vision juste de l’activité et des besoins, la distance éloigne de ce fonctionnement « classique » du cadre.

Le manager qui est aussi un évaluateur, a-t-il une juste vision du travail s’il ne voit pas réellement ce qu’il se passe?

D’autre part, la distance géographique implique des déplacements fréquents, demandant beaucoup de temps, une gestion et organisation rigoureuse.

Si les e-mails et autres outils technologiques  semblent favoriser et faciliter la communication entre les équipes et le manager à distance, ils ne peuvent remplacer la présence du cadre sur le terrain.

Face à ces constats, de nombreuses questions peuvent émerger.

Qu’est-ce qu’un management de proximité (est ce le management au plus proche des missions opérationnelles?) ? Est-il compatible avec un management à distance ?

Le cadre doit-il toujours être présent sur les unités dont il a toujours la responsabilité ?

De quelle proximité parle-t-on ? La proximité physique peut-elle être relayée par la proximité relationnelle ? La proximité managériale nécessite t’elle nécessairement une présence physique ?

Lisibilité du travail, comment motiver les équipes quand on est loin? Comment faire passer des messages, et être crédible ?

Comment concilier un management performant, bien traitant, de la qualité, alors même qu’on n’est pas présent physiquement ?

Quels sont les outils du cadre pour faire de la proximité quand on est à distance?

Distance physique, rime-t-elle avec distance relationnelle ? A contrario il faut peut-être développer des outils de la relation comme support à un management à distance, telle la confiance ?

Ainsi, au vu de ses interrogations, une ligne conductrice semble se dessiner pour effectuer ce travail de recherche et nous permet de poser la question suivante :

En quoi le cadre de santé manageant  à distance peut-il développer un management performant ?

Méthodologie de la recherche

Ce travail de recherche s’oriente sur une méthode déductive et se déroule en trois phases. La première partie est constituée d’une recherche bibliographique venant apporter un éclairage littéraire sur les concepts du management de proximité et du management à distance. Les hypothèses qui en seront déduites seront ensuite confrontées à la pratique.

La seconde partie est une enquête qualitative de terrain, auprès de cadres de santé encadrant plusieurs équipes et services.

Une mise en lien entre les lectures et les pratiques des professionnels interrogés constitue la dernière partie de ce travail,  permettant d’aboutir sur des préconisations managériales au regard de l’analyse faite.

 

Intérêt d’une méthode de recherche déductive 

Cette méthodologie dont le  principe est d’introduire la recherche par un cadre théorique pour le confronter ensuite à l’observation de la pratique, permet d’intégrer les notions clés des thématiques abordées. Dans cette recherche il s’agit du management de proximité et du management à distance.

Ainsi il est possible et de mettre en perspective les écrits pour évaluer la justesse de la question de recherche, comprendre et analyser d’une certaine manière la problématique  à partir d’auteurs ayant travaillé sur le sujet.

C’est lorsque ce travail est effectué que la réalisation de l’enquête pratique est possible, le questionnaire étant réalisé sur la base des lectures et hypothèses faites.

Dans le cas de cette recherche, au regard de mes connaissances initiales sur le thème, il semble plus pertinent de suivre cette méthodologie.

Recherche littéraire et conceptuelle  

Pour aborder une phase conceptuelle venant éclairer la problématique, je retiens plusieurs thèmes clés dans ce questionnement : management, proximité, distance, relationnel.

Dans un premier temps la recherche conceptuelle s’effectuera sur la thématique du management puis plus précisément sur la management de proximité et le management à distance, pour aller jusqu’à l’étude du mot relation.

Entre chacun de ces grands thèmes, une analyse des lectures sera faite.

Management 

« Management : ensemble des techniques de Direction, d’organisation et de gestion de l’entreprise. Ensemble des dirigeants d’une entreprise ». (Larousse, 2016)

Pour Antonin Gaunand, un manager est désigné par sa hiérarchie, être un manager c’est avant tout un statut. Le pouvoir du manager trouve son fondement dans l’organisation hiérarchique de l’entreprise. Il est centré sur la tâche, il organise, coordonne, et contrôle l’activité, il a des objectifs. (Gaunand, 2015)

Dans le dictionnaire de la formation et du développement personnel le manager est défini  comme étant « la personne qui exerce une autorité, a de l’influence et du pouvoir pour animer et diriger des salariés en vue d’atteindre les objectifs prévus dans l’organisation ». (Pigallet et Bellanger, 1996)

On perçoit dans cette définition le fait le management est une question d’humain à humain, dans laquelle s’engage une notion de relation d’autorité, mais également la question de la responsabilité.

La performance dans le management 

«  Performance : résultat obtenu dans l’exécution d’une tâche » (Larousse, 2016).

Le management est une action qui vise à transformer le travail d’un groupe de personnes en performance, et ce dans un contexte technique (métier d’origine), organisationnel et culturel. Le contexte est extrêmement important car on peut être un très bon manager dans une situation et très mauvais dans une autre (Delavallée, 2010). L’expérience qui constitue le cœur de l’apprentissage des managers doit être transformée en compétence par une démarche de développement (pédagogie combinant analyse de la pratique et le partage d’expérience entre pairs).

Ainsi pour cet auteur, le cadre est performant lorsqu’il rend performant le travail de ses équipes. Un cadre performant doit répondre à cette mission première, avec les outils qu’il a a sa disposition, son résultat c’est la performance de son équipe. Pour cela il doit être expérimenté et correctement formé.

Le Management de proximité 

Maurice Thévenet, Directeur de l’école supérieure des sciences économiques et commerciales, consultant international et conférencier, s’est intéressé au management de proximité.

Manager, c’est « s’occuper des autres », définition indissociable de la notion de proximité. Il met en avant que toutes les décisions prises par le top management ne peuvent être appliquées que par le management de proximité. Le rôle parfois invisible du manager de proximité est pourtant clé dans les actions véritables du changement. Il souligne le rôle de communication au quotidien du manager de proximité.

Le rôle du management de proximité est indispensable au fonctionnement d’une organisation, et implique un travail relationnel au quotidien. Il souligne toutefois que la proximité a ses limites et qu’elle ne doit pas être imposée par le manager à ses collaborateurs. (Thevenet 2003)

Le rapport Singly (2009) met en avant que les cadres de proximité détiennent les véritables leviers de la mise en œuvre des changements impulsés au niveau stratégique. Ils s’appuient d’une part sur leur connaissance du terrain, d’autre part sur le management par la relation au quotidien (notamment dans les équipes soignantes), et enfin sur une certaine stabilité (on constate en effet une moindre mobilité dans la population cadre que dans les équipes de direction).

Ils détiennent ainsi un triple rôle :

– ils expliquent et traduisent le change­ment avec les mots (maux) du terrain,

– ils ajustent les détails des projets de changement pour les rendre réaliste au moment de

la mise en œuvre,

– ils régulent les tensions qui ne manquent pas d’apparaître au moment des changements ».

Le cadre doit porter une attention particu­lière à l’environnement pour anticiper les problèmes, aux résultats, à leur suivi et enfin à la relation aspect prioritaire de leur activité (Laude, 2009).

Les auteurs retenus dans cette approche du management de proximité soulignent l’aspect opérationnel des missions du cadre. Le cadre de proximité est le levier de la mise en œuvre des décisions stratégiques.

Par ailleurs, la notion de travail relationnel abordée par ces auteurs semble indissociable du management de proximité. Peut-elle être la clé d’un management de proximité à distance ?

Manager à distance 

De la distance nous pouvons lire plusieurs définitions : « intervalle, espace qui sépare deux ou plusieurs personnes » (Larousse, 2016)

« Écart, différence entre deux choses, deux personnes, leurs statuts, leurs qualités etc… » (Larousse, 2016)

Ces deux dimensions sont importantes et montrent bien que la distance peut exister par l’éloignement géographique mais également par une différence statutaire entre deux personnes. Dans le cadre du management à distance, il se peut que les deux facteurs soient concomitants avec le management de proximité.

« Le management à distance (remote managing) se produit lorsque le manager est séparé physiquement de ses collaborateurs rendant ainsi impossible tout suivi direct de leur travail et des processus à l’œuvre » (Leon, le management à distance 2005)

Bernard le Clech, formateur et consultant, définit ainsi le management à distance : « manager à distance c’est manager une équipe dispersée géographiquement ».

Pour cet auteur le management à distance implique de faire confiance, de donner de l’autonomie aux collaborateurs et encourager la prise d’initiative, tout en gardant un regard sur les objectifs. Pour cela conduire régulièrement des entretiens sur les objectifs marque la présence du manager.

Au regard de ces deux définitions, même si la durée de présence n’est pas mentionnée, on constate qu’un cadre dont la présence serait fractionnée sur plusieurs services est bien en situation de management à distance : il n’est pas en mesure de suivre les processus de travail en permanence et manage des équipes dispersées géographiquement.

 

Points clés du management à distance 

Myriam Barni, dans son ouvrage « Manager une équipe à distance », insiste sur l’importance de nouer des relations humaines. Elle confronte la dimension technique à la dimension humaine. Des outils de communication existent, elle en fait une description précise, mais c’est avant tout un savoir-faire humain et organisationnel qu’il faut acquérir. Dans le cadre d’un management à distance, des méthodes spécifiques doivent être mises en place pour favoriser les échanges et coordonner les activités dispersées. (Barni, 2003)

Pour Jean Chaillet, Directeur adjoint d’un organisme de formation, le management à distance doit s’appuyer sur des éléments clés : créer du lien, donner du sens, assurer la montée en compétences des collaborateurs, être garant des comportements et du respect des règles de l’entreprise.

Les collaborateurs éloignés doivent avoir le sentiment d’appartenir au projet, à l’équipe, à l’entreprise. Pour cela, le cadre de proximité doit être capable d’une écoute active. Par ailleurs pour travailler à cette culture d’appartenance, il est essentiel de maintenir du lien formel et informel avec ses équipes, mais également de valoriser les équipes lorsque les objectifs sont atteints.

Mais n’étant pas sur place la difficulté pour le manager est d’assurer son rôle d’expert.  Les collaborateurs doivent être autonomes,  pour cela le manager doit leur donner les ressources nécessaires et les moyens d’avancer. Il devra également veiller à la montée en compétences de ses équipes.

La plus grande difficulté du management à distance reste la gestion des conflits à distance (notamment avec les mails, outils précieux mais limitant l’échange à de l’information ou de consignes, sans politesse ni contact humain), où il y a nécessité d’intervenir en face en face. (Le Gonidec, 2007)

Pour Daniel Ollivier, dirigeant d’un cabinet de formation, spécialisé dans les transformations du monde du travail, le management à distance se développe beaucoup et questionne l’organisation des modes de travail et la gestion des relations interpersonnelles et d’équipe. Pour cela le manager doit fixer des objectifs, responsabiliser ses collaborateurs, créer la confiance entre chaque membre de l’équipe et limiter les risques de conflits. Cette réalité est amplifiée dans le cadre du management à distance. Pour créer la confiance et la cohésion de son équipe le management devra être cohérent dans son système d’organisation. La mission du manager est de construire un collectif de travail  autour de règles partagées, tout en sachant valoriser les performances individuelles. Des outils de communications seront utiles.  Cela suppose une bonne connaissance de l’activité pour gérer au mieux ses temps forts, mais aussi ceux de ses agents.

« Un manager à distance ne peut pas être un manager distant » (Ollivier, 2015)

Ici encore on saisit que le management de proximité à distance est possible à condition de s’adapter aux nouvelles dimensions de ce travail, et pour cela d’être en mesure de prendre du recul, mais également de mettre en place des relations interpersonnelles efficaces, et vraies. Créer la confiance permettra de gérer le paradoxe dans lequel le manager se trouve.

Pour Laurent Granger, le management à distance permet de développer l’autonomie des équipes, mais  il est nécessaire de créer un lien solide avec elles.  La confiance sera un élément clé de ce type de management. Elle devra être à double sens entre l’équipe et le manager.  De plus il est nécessaire de maintenir des temps et espaces de rencontre réguliers.

« La présence virtuelle (ou l’absence du manager) doit être ressentie comme réelle » (Granger, 2011)

Dans le cas du management à distance, ce qui mettra le groupe en action c’est la définition de buts communs et de valeurs communes, dont le manager sera le garant.

Avec la distance, ces buts partagés seront le fil conducteur entre le manager et ses équipes.

Nous identifions ici la possibilité d’un management de proximité à distance, à condition de maintenir des rencontres virtuelles ou physiques régulières, et de rester garant des valeurs et des règles de l’entreprise. Un des outils précieux de ce style managérial est la relation et plus particulièrement la relation de confiance. Elle peut être le véritable levier du management de proximité à distance.

Le cadre devra être très à l’écoute de ses collaborateurs et rester disponible, n’oublions pas que le cadre de santé est un opérationnel, il doit rester près de l’activité de terrain pour mieux la comprendre et l’évaluer, et doit savoir valoriser

Le management à distance est un autre style managérial qui demande au cadre des ajustements par rapport à ses pratiques. Cela peut passer par des renoncements. Le fait d’être moins présent en tant qu’opérationnel l’oblige à déléguer son rôle d’expert à ses équipes. Ce qui peut en parallèle assurer leur montée en autonomie et en compétences.

Jusque-là pour les cadres de santé, le rôle d’opérationnel permettait la proximité. Or s’il faut y renoncer, c’est un autre aspect qu’il faut développer pour le remplacer : l’aspect relationnel du management qui permet de conserver un regard précis, sur ce qu’il se passe dans l’unité.

On perçoit ainsi que pour faire collaborer proximité  et distance, il y a nécessité d’évoluer dans les pratiques de management. Par ailleurs l’utilisation des nouveaux outils de communication est facilitant.

La bonne distance

Mathieu Detchassahar constate un divorce entre l’activité managériale et l’activité de travail opérationnel dans le domaine des soins.  Ce divorce dont l’origine vient des nombreuses missions annexe et chronophages rendent impossible la présence du cadre dans les unités de soins. Ces missions annexes deviennent centrales dans l’agenda du cadre.

La conséquence de l’absence du cadre est que la régulation du travail est impossible, de même que la construction de sens de travail opérationnel. Les équipes  doivent elles même effectuer cette régulation, ce qui les fragilise. Le travail s’en trouve désorganisé et créée des désaccords, le sentiment de ne pas faire du bon travail.

Pour lui, et afin de réduire ce divorce, il est essentiel que le cadre aidé par sa Direction puisse réorganiser son agenda afin d’être présent au cœur du travail opérationnel et qu’il puisse  manager par la discussion. Cela implique qu’il rende public son opinion sur le travail, qu’il ait la confiance de l’équipe, et qu’il structure les lieux et temps d’échange. (Detchassahar, 2014)

Ce professeur vient ainsi mettre en avant les risques de trop de distance entre un manager et son équipe. De plus, si le manager peut ressentir une capacité à manager à distance, le point de vue des équipes peut être différent.

«  Le manager de proximité est ainsi acteur en production et en motivation. Il est là où se conforte le sentiment pour chacun de faire partie d’un ensemble, et d’y avoir un rôle signifiant, la notion de perspective et d’horizon de sens » (Scotto et Tiffon, 2014)

En se plaçant de ce point de vue, on peut supposer que l’absence récurrente d’un manager par rapport à son équipe est très déstabilisante et comporte un risque de perte de sens au travail.

Une enquête de l’APEC réalisée auprès de salariés travaillant avec des cadres montre que les salariés attendent du cadre qu’il leur laisse une certaine autonomie, mais qu’il ait une présence, notamment en cas de problème.  Le service des RH attend par contre du cadre de proximité qu’il soit facteur de motivation et qu’il communique auprès des équipes.

Paule Bourret, met en avant les exigences de la relation de proximité des équipes, notamment en ce qui concerne la présence du cadre. Le cadre de santé doit développer une forme de « génie pratique en situation pour régler son mode de présence aux autres tout en poursuivant son cours d’action » (Bourret, 2004)

Cette approche pose la question de la visibilité du travail du cadre pour les équipes. Comment manager de manière performante lorsqu’on n’est pas vu ni lisible ?

L’art du management à distance se situe peut être dans un juste dosage entre présence et absence, lisibilité et invisibilité.

 

Focus sur la confiance dans la relation managériale  

L”importance de l’aspect relationnel dans l’activité managériale ont été abordés par un certain nombre d’auteurs. Aussi, pour clôturer cette phase conceptuelle une recherche sur la relation et plus particulièrement la relation de confiance paraît nécessaire.

La confiance n’est pas donnée d’avance. Elle est un construit, élaboré dans le temps et toujours relativement à ce avec quoi elle interagit : confiance en soi, confiance en l’autre, confiance dans le système. On a confiance parce que l’on agit, même en période de crise, selon des principes et des règles partagés. C’est en élaborant et partageant des règles que la confiance et donc la  collaboration peuvent exister. (Davezies, 1993)

C’est sur cette réciprocité, que la relation de confiance entre les êtres humains se structure. Dans le travail, cette réciprocité des enjeux de confiance favorise la reconnaissance mutuelle et participe au développement de la dimension psychosociale (Van Belleghem, De Gasparo et Gaillard, 2013). Mais on peut aussi lui reconnaître, et peut être avant tout, un rôle fonctionnel dans la coordination et la coopération nécessaires entre les travailleurs pour atteindre les objectifs du travail.

Dans la relation de management, qui implique un lien de subordination hiérarchique entre deux individus (un manager et un collaborateur) par application des règles du contrat de travail, la confiance se construit au sein d’une relation forcément asymétrique. Pour autant, un équilibre peut se construire si l’un et l’autre trouvent un intérêt partagé à cette asymétrie. (Van Belleghem L. 1993)

Nous constatons ainsi que la confiance ne se construit pas d’égal à égal, mais autour des valeurs partagées et des objectifs. Il y a donc pour le manager nécessité d’être clair, de définir des intérêts communs,  des règles communes. C’est le partage qui permet la construction de la confiance.

La confiance dans la relation managériale est donc essentielle, elle semble être une partie du lien qui permet le management de proximité à distance.

Analyse et hypothèses 

L’importance des outils technologiques de communication est pointée, tout comme l’importance d’un maintien de rencontres formelles et informelles entre le cadre et ses équipes. Il doit de ce fait maintenir une écoute active de tous les acteurs, afin qu’ils se sentent entendus dans les différentes problématiques qu’ils rencontrent en l’absence du cadre.

Le cadre met en place des modes de communication adaptés, il délègue, renforce la relation de confiance, les équipes sont autonomisées.

Bien repérer les avantages et les inconvénients de ce type de management permet d’entrer dans une pratique performante.

Ces éléments semblent être ce qui permettra de concilier management de proximité et management à distance et de le faire évoluer vers un management performant.

Un management participatif n’est pas suffisant pour allier management de proximité à distance. D’autres conditions et stratégies managériales sont nécessaires.

A l’issue de cette phase bibliographique, et en lien avec notre question de recherche, des hypothèses peuvent être formulées :

-Un management de proximité sans présence physique permanente est possible et constitue un style managérial différent pour lequel le cadre développer des compétences spécifiques.

-Pour un management de proximité à distance performant, un cadre doit avoir identifié les points forts et les risques de ce style managérial afin d’anticiper et d’adapter son management.

-Le management de proximité à distance permet d’autonomiser les équipes et de lever les compétences.

-Un management de proximité à distance engage des outils managériaux spécifiques techniques et relationnels : confiance, partage de valeurs, organisation structurée…

Le management de proximité à distance en pratique

Approche méthodologique

A la suite de cette approche théorique, une recherche auprès de professionnels de terrain  vient étayer ce travail afin de vérifier la justesse du cadre conceptuel, et aller chercher des éléments opérationnels.

Il s’agit d’une étude qualitative par le biais d’entretiens auprès de cadres de santé concernés par la thématique du management à distance.

Pour échanger sur des pratiques managériales de cadre à cadre, et partager leur expérience, il est apparu pertinent de rencontrer les cadres directement et de mener cette recherche pratique en face à face, sous forme d’entretiens.

Selon les hypothèses et l’analyse du cadre conceptuel des grands thèmes ont été retenus pour constituer des grilles d’entretien :

  • les conditions de performance d’un management de proximité à distance : compatibilité proximité/distance, amélioration des pratiques managériales.
  • identification des outils managériaux utilisés par les cadres pour répondre à leur mission de proximité lorsqu’ils sont sur un autre lieu.
  • Identification des difficultés et des points forts et des difficultés rencontrée et des stratégies mises en place pour y faire face.

Pour un échange facilité, les questions posées sont majoritairement des questions de type ouvertes laissant la possibilité aux cadres d’exposer leur expérience.

Il est bien évident que 6 entretiens ont une représentativité limitée, mais cette partie de la recherche est essentielle car elle permet de confronter la théorie à la pratique.

 

Choix des cadres interrogés, contexte

Nous avons trouvé des cadres en situation de management à distance, par le biais de notre réseau, et déjà nous apercevoir qu’il est aisé de cibler des cadres responsables de plusieurs services. Notre condition de choix était que les services des cadres soient bien géographiquement distincts, et que le cadre se rende physiquement sur chacun d’entre eux,  pour respecter le périmètre de notre recherche.

La psychiatrie est apparue être la spécialité privilégiée pour rencontrer ces cadres, probablement en raison du grand nombre de structures ambulatoires, favorisant ce type de management.

Il a été plus difficile de trouver des cadres de soins généraux. Nous pouvons supposer qu’étant nous-même issus d’un établissement de santé mentale, notre réseau nous a naturellement conduit vers des cadres de psychiatrie. Dans tous les cas, un échantillon de 6 cadres n’est pas suffisamment représentatif pour affirmer que le management à distance concerne davantage la psychiatrie que les soins généraux.

Au vu de la phase bibliographique et de la spécificité du management à distance nous avons choisi de sélectionner des cadres plus ou moins expérimenté, afin de comparer leurs réponses dans l’analyse. Ainsi, nous avons interrogés deux cadres très expérimentés (plus de 10 ans d’ancienneté sur leur poste) et les autres plus récemment affectés sur leurs postes.  Voici leur profil :

Cadre n°1 : Mme M., gère depuis 11 ans, 4 services de psychiatrie adulte (un hôpital de jour et trois services de consultations) ainsi que 3 équipes autonomes.

Cadre n°2 : Mme G., gère depuis 3 ans, 2 services de soins généraux (chirurgie ambulatoire, consultations)

Cadre n°3 : M. J, gère depuis 5 ans, 2 services de pédopsychiatrie (un hôpital de jour et un service de consultation).

Cadre n°4 : Mme D. gère depuis 2 ans, 4 services de pédopsychiatrie (un hôpital de jour, deux  centres médico-psychologiques, une équipe de liaison)

Cadre n°5 : Mme J. gère depuis 4 ans, 2 services de chirurgie ambulatoire.

Cadre n°6 : M. H, gère depuis 10 ans, 3 services de psychiatrie adultes (2 hôpitaux de jour, un centre médico-psychologique).

Au début de l’entretien, un temps de prise de contact est proposé à chacun des cadres : nous nous présentons et définissons le cadre de l’enquête en garantissant l’anonymat pour ne pas « limiter » l’échange. Puis nous demandons au cadre de présenter ses services et leur spécialité afin de faire connaissance avec son quotidien.

Cette introduction permet d’arriver assez naturellement à la question du management à distance et de la perception des cadres de leur travail.

Notre recherche cible leur pratique : les avantages de ce management, leurs difficultés et quelles ressources ils ont, ou ont mis en place pour concilier distance et proximité.

Globalement les cadres rencontrés ont montré une réelle volonté de partager leur expérience. Les entretiens, d’une durée moyenne de 30 minutes, se sont déroulés de manière assez fluide et naturelle sans gêne de la part des cadres interrogés.

Pour traiter les réponses aux entretiens, ils ont été intégralement retranscrits (sur la base d’un enregistrement audio effectué avec l’accord des cadres), puis à l’aide d’un tableau à double entrée une synthèse a pu être faite avec des phrases ou mots clés. Enfin une mise en lien avec la théorie du cadre conceptuel a permis d’établir l’analyse du contenu, en prenant en compte le contexte.

Au cœur de l’enquête 

En tout premier lieu, tous les cadres interrogés s’accordent à dire qu’en ayant plusieurs services à encadrer ils sont en situation de management à distance, tout en gardant leur missions de proximité. Le périmètre de l’enquête est donc respecté.

L’analyse des entretiens permet de dégager 5 thèmes forts en lien avec la question de recherche et les hypothèses.

Thème 1 : conditions de la compatibilité entre distance et proximité

Tous les cadres interrogés s’accordent à dire que le management de proximité est compatible avec la distance lorsqu’ils gèrent plusieurs services sous certaines conditions qu’ils vont identifier.

Tous, mettent en avant l’importance de l’organisation du cadre. Elle doit être cohérente, structurée et à la fois flexible. L’organisation passe par la priorisation des activités : certaines sont à faire en première intention, d’autres sont à déléguer. L’organisation est soumise à une certaine adaptabilité. Cet aspect du travail engage le cadre et sa capacité d’être à l’écoute de ce qui se passe autour de lui pour adapter son organisation.

Le cadre n°6 indique que la charge de travail est un élément important, elle doit être compatible avec des missions de proximité. La charge de travail doit permettre de rester disponible pour les équipes c’est à dire : d’accorder des temps individuels et collectifs. Il est possible de mettre en lien ce constat avec les propos de Matthieu Detchahassar, qui insiste sur le fait que la charge de travail doit permettre la proximité sans quoi les équipes sont en danger.

Pour 4 des cadres interrogés, la communication, est au service du circuit de l’information, il s’agit d’une condition essentielle de la compatibilité entre distance et proximité. En situation de management à distance il faut parfois créer des outils de communication, ou utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces éléments de réponse rejoignent la pensée de Maurice Thévenet, qui insiste sur ces éléments de communication, car à distance la qualité de la communication peut s’amoindrir.

Enfin le management du cadre de santé nécessite certaines compétences assez spécifiques citées par tous les cadres interrogés : réactivité, observation, sens de l’analyse, écoute active, capacité d’évaluation permettant de repérer les ressources et leur complémentarité afin de les positionner aux bons endroits  ce qui permet d’autonomiser les équipes.

La spécificité du management d’équipes autonomes 

La cadre 5 pense que le cadre doit s’adapter à l’autonomie des équipes. Il doit notamment montrer son engagement et son investissement et savoir accompagner et valoriser le travail des équipes autonomes.

La question de l’autorité interroge également la cadre 5. Pour elle, on ne recadre pas des équipes autonomes que l’on gère à distance de la même manière que lorsqu’on gère une seule équipe dans un même service. Il faut travailler un relationnel plus « fin », une autorité plus naturelle et bien se connaître dans sa manière de manager pour ne pas faire d’impair qui nuirait au travail.

Pour le cadre 3, une équipe autonome fait travailler le cadre sur lui-même, car il doit accepter qu’il ne maîtrise pas tout. Les équipes gérées à distance s’autonomisent par le biais du management délégatif. Ceci implique une bonne connaissance de ses équipes et une confiance solide en elles.

Ces éléments peuvent être mis en lien avec plusieurs auteurs cités dans la phase conceptuelle. Laetitia Laude, Daniel Ollivier ou encore Laurent Granger qui mettent en avant que seul un lien solide peut  créer la confiance, qui sera un des piliers du management à distance.

Enfin le cadre doit veiller en permanence au développement des compétences qui sont plus affinées dans le cas d’équipes autonomes.

Thème 2 : outils managériaux du cadre de santé pour un management à distance performant

A cette question, tous les cadres interrogés citent en premier lieu des outils de communication en lien avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication : mail, téléphone portable, intranet principalement, ou encore système de documentation partagé. Ces outils sont ceux préconisés pour la circulation de l’information par Myriam Barni.

Cet auteur citait également les outils relationnels du management à distance car pour elle les outils de communication ne remplacent pas le savoir-faire humain.  Toutefois force est de constater que les outils relationnels ne sont cités en première intention que par 3 des cadres de santé interrogés. Il s’avère que ce sont les cadres les plus expérimentés qui positionnent les outils managériaux relationnels en première position.

Sur ce second point, voici une synthèse des réponses des cadres interrogés, qui distinguent  deux autres types d’outils managériaux : ceux engageant le cadre en tant que personne, et ceux qui concerne son organisation.

  • Outils engageant la personne : compétence particulière du cadre d’identification des personnes ressources, priorisation, observation poussée et sens de l’analyse, capacité à construire une relation de confiance de qualité.
  • Outils organisationnels : le management délégatif et l’autonomie des équipes sont cités par 2 cadres comme des outils de la performance du management à distance. Pour cela ces cadres utilisent la planification des tâches, la mise en place de modes opératoires à suivre selon les situations. La réunion est citée par 2 cadres comme outil managérial, elle est un moment clé où l’information peut circuler en présence de toute l’équipe.

Les cadres interrogés relèvent tous l’importance de la disponibilité accordée aux équipes : que ce soit téléphoniquement, virtuellement ou physiquement (lors de réunions, ou simplement en laissant la porte du bureau ouverte, ou en étant joignable), les équipes doivent sentir la disponibilité du cadre. Cette information de terrain rejoint l’avis de Laurent Granger cité p.7 qui insiste sur le maintien des temps de rencontre formels et informels.

Cette disponibilité est au service d’une écoute active, véritable outil managérial, que le cadre doit particulièrement développer dans ce contexte. Il doit écouter, décrypter, analyser, comprendre et réfléchir les problèmes pour que les agents se sentent entendus, soutenus. Cette écoute active permet  repérer des problématiques sous-jacentes, et peut être le moyen d’anticiper. En effet Laetitia Laude, insiste fortement sur la nécessité d’anticiper pour un cadre, or on sait qu’en cas de management à distance, l’anticipation est plus difficile, de par la multiplicité des lieux et situations rencontrées.

En vue d’avoir des équipes autonomes, le cadre n°3 fixe des objectifs  et laisse la possibilité à ses équipes d’être autonomes sur les moyens de les atteindre.

Ce même cadre explique qu’il est passé par une phase de renoncement de la maîtrise de tout ce qui se passe. Ce travail lui a ensuite  permis d’arriver à une phase d’acceptation du fait qu’il ne peut pas être à toutes les places.

Justement l’évocation d’un travail sur soi en tant que professionnel du management, accompagné par une supervision est évoquée par 3 des cadres interrogés.

Pour eux cet accompagnement serait  nécessaire pour mieux se connaitre en tant que cadre, et mieux appréhender les façons de manager à distance.

La Lisibilité du cadre

Rester lisible est essentiel pour tous les cadres interrogés, c’est ce qui permet de maintenir le « cadre » même en leur absence.  Pour cela il faut rester joignable et assurer des temps de présence structurés et repérables. Un effort de passages réguliers dans tous les services est nécessaire, avec une organisation connue des équipes. Plusieurs cadres citent les risques d’un manque de présence : mauvaise circulation de l’information, difficulté à mettre des projets en place, équipes pouvant se trouver en difficulté.

Pour une bonne lisibilité, il faut penser à communiquer avec les secrétaires également, leur rôle est essentiel. Elles sont au cœur de l’information et de l’activité des services.

La lisibilité c’est aussi faire connaître  et communiquer sur des objectifs, définir des valeurs communes. Rappeler souvent pourquoi on est là, quels sont les objectifs communs.

La lisibilité du cadre passe également par un engagement du cadre de santé envers les équipes, qui permet de l’identifier comme personne ressource dans de nombreuses situations y compris en son absence.

Thème 3 : Un management aux intérêts multiples

Deux cadres voient un avantage notable à travailler sur plusieurs services : la transversalité qui permet une approche moins cloisonnée. Être sur plusieurs services au sein d’un même pôle permet d’avoir une vision globale de son fonctionnement afin de travailler dans le sens d’un pôle.  La compréhension des enjeux stratégiques du pôle est facilitée par la transversalité.

La cadre n°5 met en avant la richesse de l’expérience du management à distance. Pour elle, chaque situation rencontrée dans chaque service est source d’apprentissage et de développement de ses compétences. Travaillant dans 2 services de  chirurgie, elle rencontre souvent des problématiques similaires dans l’un et l’autre. Autant d’expériences dont elle peut se servir  pour améliorer ses pratiques.

Les cadres n°3 4 et 6, identifient que le management à distance leur confère une grande autonomie managériale et l’apprécient particulièrement. Ils se sentent ainsi libres d’adapter leurs stratégies managériales aux différentes situations qu’ils rencontrent.

Le cadre n°6 dit que le fait de voir les équipes sur des moments stratégiques (réunions) permet d’aller à essentiel dans ce qui lui est rapporté. Finalement il perd moins de temps, les choses ont déjà été réfléchies en amont, elles sont validées ou non en réunion. Aussi le cadre voit mieux ce qui est fait (il suit l’évolution des projets de réunion en réunion), il est donc plus facile pour lui de valoriser les actions des équipes.

Pour le cadre n°3, lorsqu’il y a des tensions dans un service, une présence discontinue permet de prendre du recul.  Les équipes peuvent travailler en autonomie pour désamorcer certaines situations, et cela contribue à une dynamique d’équipe constructive.

Thème 4 : Difficultés au quotidien et solutions, une vigilance particulière pour les cadres.

La difficulté la plus importante citée par tous les cadres est liée à la temporalité : le manque de temps ampute une partie de l’activité des cadres. Le cadre numéro 2 indique que ce manque de temps de présence l’empêche notamment d’échanger certaines informations (il y a souvent des oublis), ou de mettre en place des projets en collaboration pluriprofessionnelle.  Ce temps se perd également dans les déplacements fréquents entre les différents services, lorsqu’ils sont géographiquement dispersés.

Deux cadres mettent en avant que ce problème de temporalité fait qu’ils sont souvent en décalage avec leurs équipes. Lorsqu’ils se rendent sur une unité, des situations problèmes ont souvent déjà été réfléchies par l’équipe et des solutions ont été trouvées mais sans régulation ni définition d’une direction commune. Parfois certaines situations se dégradent et à l’arrivée du cadre un climat de tension s’est installé. Il faut alors désamorcer des situations de conflits ou de désaccords.

Jean Chaillet, auteur cité au début de cet article, évoquait la présence nécessaire du cadre dans la gestion des conflits. Effectivement les réponses des cadres interrogés, corroborent l’importance d’une intervention et d’une présence physique.

La distance se joue donc dans le temps et dans l’espace et ce double facteur demande au cadre des compétences d’analyse de situation, de positionnement et de réactivité alors qu’il n’a pas tous les éléments lui permettant de le faire.

Toutes ces compétences requises sont plus difficiles à maintenir au quotidien en raison de  la multiplicité  des problématiques à réguler sur les différents services.

Le cadre 3 explique qu’il a dû réduire le temps informel passé avec les agents et les équipes, alors que ce temps est pourtant très précieux pour la gestion d’une équipe.

Enfin la multiplicité des lieux et des sollicitations rendent très difficiles l’anticipation. Capacité pourtant essentielle pour le cadre nous l’avons vu dans la phase conceptuelle, notamment avec l’article de Laetitia Laude.

Les cadres n°1 et 6 disent ne pas rencontrer de difficulté majeure en situation de management à distance.  Au cours des entretiens, leur réponse à cette question est rapide, n’engendre pas de réflexion majeure (contrairement aux autres cadres). Un lien avec leur expérience peut-être fait puisqu’il s’agit de cadres expérimentés, qui ont depuis longtemps trouvé des solutions aux problématiques cités par d’autres cadres moins expérimentés. Ils soulignent toutefois l’importance d’une charge de travail permettant une disponibilité permanente pour les différents services.

Thème 5 : Facteurs aidants à la performance du management à distance

La majorité des cadres interrogés souligne l’importance du soutien institutionnel : une vigilance particulière de l’institution quant à l’ergonomie et leur charge de travail.  Limiter les missions secondaires, nombre de services permettant de d’être disponible pour les équipes, moins de réunions institutionnelles, de groupe de travail.

Les cadres qui ont le plus de services à gérer  attendent de leur institution un  travail et une réflexion sur la logique de découpage, territoire (déplacements) :

Les cadres ont la sensation que leurs difficultés ne sont pas perçues par l’institution qui peut devenir désorganisante selon la charge de travail qu’elle leur demande.

Pour un management à distance performant l’importance de la collaboration est citée par tous les cadres, et ce à plusieurs niveaux :

  • Collaboration avec le corps médical qui peut porter les valeurs et les objectifs en l’absence du cadre.
  • Collaboration avec les équipes pour faire vivre les projets, en incluant des personnes ressources.

La collaboration est possible si dès le départ des objectifs communs et valeurs sont définis entre tous les acteurs, et partagés. Une bonne connaissance des équipes est nécessaire pour une collaboration renforcée.

D’autre part, la reconnaissance et valorisation du travail sont citées au cours de plusieurs entretiens comme facteurs de performance. Nous pouvons ici faire le lien avec les articles de Jean Chaillet et  de Daniel Ollivier précédemment cités, qui mettent en avant la nécessité de valoriser les performances des agents. La reconnaissance pourrait en situation de management à distance représenter le trait d’union de la relation partenariale.

La sensation d’isolement des cadres est évoquée plusieurs fois (cadres n°2, 3 et 4). Elle est liée à la distance qui éloigne le cadre de ses collègues et à la charge de travail ne permettant pas de trouver le temps d’échanger avec eux. Une forme de supervision, laissant la possibilité de réfléchir à ses pratiques managériales, ou un temps d’échange régulier avec les collègues permettrait une prise de recul.

Analyse de ce travail 

Le management à distance est une thématique encore peu identifiée dans les établissements de santé, qui pourtant tend à se développer.

Nous souhaitons ici mettre en avant que cette analyse s’effectue sur la base de 6 entretiens et avons conscience qu’elle a une représentativité limitée. Aussi ce travail se veut modeste, espérant apporter un éclairage sur la thématique du management à distance, sans généralisation sur les pratiques de cadres d’autres établissements.

La recherche conceptuelle et les écrits que nous avons trouvés correspondent davantage au monde de l’entreprise. Lorsque la question du management à distance des cadres de santé est abordée dans la littérature, elle ne concerne pas le management sur plusieurs sites, mais plutôt l’absence des cadres en raison des multiples missions transversales.

Pourtant, en comparant les écrits sur le monde de l’entreprise et ce qui est décrit par les cadres de santé lors de notre enquête, nous constatons qu’il y a de nombreux points communs dans la thématique du management à distance. Les auteurs et les cadres interrogés identifient souvent les mêmes problématiques.

Ainsi que nous l’avons évoqué dans nos hypothèses, nous vérifions ici que le management à distance doit faire collaborer une dimension humaine et une dimension technique.

Nous avons vu que les cadres utilisent une palette d’outils qu’ils soient techniques et /ou relationnels, plus particulièrement la relation de confiance.

La capacité d’analyse du cadre doit être fine faces aux situations d’équipes et aux phénomènes de groupe pour décrypter ce qui se joue en un temps réduit et proposer des réponses adaptées.

Le management à distance amène un changement dans la façon d’appréhender ses missions : en cela il peut être qualifié d’évolution managériale. En effet, le cadre doit développer des compétences spécifiques, s’adapter aux différentes situations et aux équipes autonomes. Il doit également apprendre à se positionner sans avoir tous les éléments d’une situation.

Dans la phase conceptuelle nous avons vu que le cadre est performant lorsqu’il rend performant le travail de ses équipes. (Delavallée, 2010)

Au regard des entretiens nous pouvons confirmer que la performance du manager à distance n’est pas qu’une question de compétences et d’adaptabilité. Il s’agit également d’accompagner les équipes vers l’autonomie et participer au développement de leurs compétences pour les rendre performantes.

 Propositions

L’expérience

Notre analyse nous amène à penser que la distance n’est pas une difficulté insurmontable en elle-même. Nous l’avons vu, elle présente des avantages et des inconvénients, par contre elle peut accentuer ou amplifier les faiblesses (équipes déjà en difficultés etc…) pour cette raison, il paraît raisonnable de positionner sur ce type de poste des cadres expérimentés et ayant déjà une bonne connaissance de l’établissement d’autant que les services sont géographiquement éloignés du Centre Hospitalier d’origine.

Se former aux spécificités du management à distance 

Par ailleurs, le management à distance comprend des spécificités et nécessite un mode d’organisation, des modes de communication novateurs, des compétences spécifiques (réactivité, écoute active, communication marquante et créative)  qu’une formation permettrait de travailler et de développer.

Ce type de formation existe déjà sous différents mode dont le e learning, mais il nous semble que favoriser le partage d’expérience entre cadres, même issus de milieux différents reste une approche pédagogique préférable pour des professionnels.

En outre, il est tout à fait possible de recommander des lectures sur la thématique du management à distance qui pourraient être aidantes pour les cadres, même si la plupart concernent d’avantage le monde de l’entreprise, nous l’avons vu, les problématiques du management à distance dans la santé sont proches. Certains auteurs ont des approches intéressantes et proposent des pistes de réflexions pour comprendre ce qui se joue dans le management à distance et améliorer les pratiques.

Etre lisible depuis ses objectifs jusqu’à sa présence

Les outils numériques pouvant favoriser la communication pilotent le travail mais n’ouvrent pas le dialogue, l’e-mail perd la notion de l’informel, pour cela il est essentiel de se voir, le cadre de proximité doit alors favoriser un passage régulier dans ses unités auprès des différentes équipes, et être vu de manière formelle (réunions, groupe de de travail…) et informelle.

Par ailleurs le management à distance pose une exigence supplémentaire dans la définition des enjeux et des objectifs. Il convient dès le départ de prendre du temps (équipe, cadre, médecins) pour les définir.

Accompagner les cadres

L’idée d’un accompagnement par des temps réguliers de supervision ou d’analyse de la pratique, présente un double intérêt managérial : ne pas laisser le cadre dans des problématiques pour lesquelles il n’aurait pas de solution, lui donner la possibilité de développer sa performance par une prise de recul et une analyse fine des situations complexes.

SI le cadre peut se sentir isolé par la distance, il peut être utile de l’accompagner pour limiter cette sensation et lui donner la possibilité d’aller chercher des solutions à ses difficultés : cela passe par un lien renforcé avec son institution. Nous pouvons citer  par exemple, une possibilité de rencontrer régulièrement la Direction des soins, ou de se référer à son cadre supérieur, ses collègues, et pour finir une collaboration renforcée avec les médecins. Tous ces liens peuvent redonner le sens des différentes logiques hospitalières et permettre au cadre de se positionner avec plus de facilité. Dans tous les cas, le cadre doit se sentir étayé et soutenu pour travailler dans la cohérence et toujours mettre du sens à ses actions.

Conclusion

Le cadre de santé,  a jusqu’à présent, été habitué à contrôler et motiver son équipe avec toute la souplesse que procure la présence de ses collaborateurs à ses côtés. En situation de management à distance, ses habitudes sont bousculées et il doit s’adapter à un nouveau style managérial qui passe par une évolution de son identité professionnelle. Une nouvelle position professionnelle pour laquelle le cadre laisse sa place d’expert opérationnel pour devenir un expert du management. Il ne travaille plus dans les processus, mais sur les processus.

Mais il reste avant tout cadre de proximité. Ce travail met en avant que le cadre est forcément au cœur de la relation, il anime, régule, gère des espaces collectifs et est garant de la place de chacun.

Distance et relation sont donc très liées. La relation fait le trait d’union entre les missions de proximité et la non présence permanente du cadre.

C’est ainsi qu’il peut répondre à des missions de proximité en manageant à distance.

Ce travail nous permet de dire que  le management de proximité à distance se  doit d’être un fin équilibre entre autonomie et contrôle, entre présence et absence. Equilibre qui sera à remanier selon la collaboration possible et le niveau de construction de la relation de confiance.

La distance si elle est équilibrée, ne veut pas dire absence. Elle n’éloigne pas forcément, au contraire elle permet de développer la performance des équipes.  Ces aspects contribuent au bien être des équipes et des individus au travail puisqu’ils leur laisse la possibilité d’être autonome, avec des compétences fortes. Aussi, une des perspectives de continuité pour ce travail pourrait de faire évoluer notre questionnement ainsi :

Dans quelle mesure le management à distance peut-il contribuer à un bien-être au travail des agents favorisant une dynamique de groupe constructive ?

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Articles

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