Comment travailler ensemble ? Christophe DESSAUX

COMMENT TRAVAILLER ENSEMBLE ?

Pour aider un adolescent en grande difficulté.

                                Dr CH. DESSAUX Psychiatre Pédopsychiatre

Cet article est l’adaptation d’une conférence/débat avec support diaporama prononcée lors de la Semaine d’information en santé mentale, Séminaire du 27 mars 2015, Conseil général de La Drôme : L’adolescence, peur ou envie de grandir. Ce travail doit beaucoup aux réflexions et pratiques expérimentales développées dans Travailler ensemble, un défi pour le médico-social. Complexité et altérité, Eres Toulouse, 2014 par Alain DEPAULIS en coll. avec Jean NAVARRO et Gilles CERVERA.

Pourquoi ce thème

Peur de grandir, Envie de grandir. Je suis parti du premier terme de notre thématique du jour. Celui de la peur.

La peur, sur cette question de l’adolescence et de ses avatars, n’est–elle pas surtout du côté des adultes, et souvent donc du côté des professionnels, en particulier dans les situations très problématiques :

Peur de perdre la maîtrise sur l’évolution d’un jeune ado préoccupant et difficile,

Peur d’une évolution vers les formes les plus désolantes à l’entrée à l’âge adulte :

  • La folie (décompensation ou décompensation psychotique), ou
  • La délinquance violente

Un marqueur linguistique très courant de cette peur ressentie par le professionnel est la phrase : « Il relève de … » : Il relève de la psychiatrie, il relève d’un ITEP, il ne relève pas d’une école ordinaire, il relève de la MDPH… Le plus souvent, la fin de la phrase désigne une institution autre que celle où travaille le professionnel qui parle.

Alors quand on a peur, se rapprocher des autres est un besoin, être à plusieurs ça rassure.

Une des antidotes efficaces pour lutter contre la peur paralysante est de partager inquiétude et interrogations, de travailler ensemble


Une situation clinique

NB : Le développement de l’argumentaire s’appuie sur l’exposé détaillé du parcours de JB, un adolescent de 16 ans et demi qui vient de réintégrer un Centre éducatif fermé (CEF), où il a été placé par décision du tribunal pour enfants, suite à un séjour en maison d’arrêt, quartier des mineurs. Par-delà les modifications importantes qui ont été apportées lors de la conférence pour préserver l’anonymat, nous ne voulons délivrer ici qu’un résumé de cette situation pour sa diffusion sur le site de Pluriact. .

Au moment de son entrée au CEF, ce ne sont pas moins de douze professionnels qui se trouvent conviés en réunion multi partenariale, à l’initiative de la PJJ et de l’ARS. Ainsi ce compose ce collectif multidisciplinaire :

Par ordre d’apparition dans l’histoire de vie du jeune :

  • Une assistante sociale du conseil général
  • Le juge des enfants
  • Une assistante sociale et une chargée de mission de la MDPH
  • Le chef de service et la psychologue de la maison d’enfant à caractère social (MECS) où JB était hébergé avant son placement judiciaire
  • Le psychiatre et la cadre de santé du service de pédopsychiatrie à temps plein
  • Un infirmier de l’équipe mobile de pédopsychiatrie
  • Le chef de service de l’ITEP1 qui a accueilli JB entre l’âge de 8 ans et l’âge de 11 ans
  • Le chef de service et la psychologue de l’ITEP2 qui a pris le relais entre l’âge de 11 ans et l’âge de 15 ans
  • Le chef de service et la psychologue du CEF

L’ordre du jour est une « analyse de situation », dans le contexte de la préparation d’un projet pour ce jeune lorsqu’il sortira du CEF, sortie prévue dans 3 mois.

A l’exception des professionnels du CEF, les mêmes personnes s’étaient retrouvées autour de la table 9 mois plus tôt dans le contexte de la sortie prononcée par l’ITEP 2, sortie prononcée dans les suites d’une escalade d’épisodes de violences verbales et physiques à l’encontre des éducateurs.

Brève rétrospective :

JB est l’enfant d’un couple instable en situation psychosociale précaire. La mère maintiendra un lien constant à cet enfant, mais elle ne pourra pas éviter les relais familiaux successifs, d’autant plus préjudiciables à la construction psychique de l’enfant que les parents sont suspectés de carences et de maltraitance. La PMI intervient très tôt en raison des difficultés de la mère à s’occuper de son bébé. Dès le début de sa scolarité, JB souffre d’instabilité comportementale, il est peu sensible à l’autorité et des accès agressifs sont signalés. Une enquête sociale est demandée par le conseil général, c’est ensuite le juge des enfants qui statue par une Ordonnance de Placement Provisoire (OPP). Parallèlement la PMI a demandé une évaluation pédopsychiatrique qui fait état de « troubles de l’attachement avec troubles du comportement et risque d’installation de trouble de la personnalité ».

En conséquence de quoi d’importants soins psychologiques sont engagés. Les troubles comportementaux assortis à des retards d’apprentissage conduisent à une orientation en ITEP. Malgré l’accompagnement soignant, rééducatif et psychothérapique que lui offre cet établissement, les troubles comportementaux de JB persistent en particuliers sur le registre agressif. Une autre formule est aménagée en semi-internat dans un ITEP pour préadolescents et adolescents, ce qui favorise une période plus paisible, plus constructive au niveau relationnel. Hélas une dégradation, vraisemblablement liée à un épisode de maltraitance dans son lieu de vie, compromet ce fragile équilibre. La situation se dégrade au point de conduire, sur une nouvelle OPP, à une orientation en MECS et visites médiatisées avec les parents.

On observe alors chez JB une régulière escalade des mises en actes, certains de nature délinquantes, d’autres de type réactif au plan affectif car le garçon est simultanément en quête de refuges maternant. Une scolarité personnalisée lui est aménagée. Le retour de crises avec violence motive des appels à l’intervention du SMUR et peuvent le conduire aux urgences. Le psychiatre de l’ITEP n’a d’autre choix que de lui prescrire un traitement à visée sédative, anxiolytique et antipsychotique. Malgré cela à l’issue d’une crise très violente une hospitalisation en service de pédopsychiatrie s’impose. Une hospitalisation marquée par une amélioration spectaculaire, JB révèle une personnalité touchante par son désarroi et ses demandes  d’écoute aux soignants. Le diagnostic du pédopsychiatre hospitalier est : « Trouble psychotique à expression comportementale, sur fond de carences précoces multiples et de troubles du lien précoce ». Malheureusement les hospitalisations vont par la suite se succéder avec une fréquence de plus en plus grande. Les soignants devront recourir régulièrement à des séjours en chambre d’isolement. Un accompagnement extra hospitalier par l’Équipe Mobile de psychiatrie infanto juvénile est mis en place en complément des soins en ITEP. Des réunions de concertation et d’analyse de situation sont organisées une fois par trimestre, sous l’égide de la MDPH et du réseau «public jeunes frontières ».

JB a 16 ans quand il est rattrapé par diverses affaires pénales (dégradation de matériel, vol de véhicule, agression de personnes). A la même période, il est mis fin à l’accompagnement dans l’ITEP 2 suite à l’agression physique d’un éducateur. Le Juge Des Enfants ordonne une expertise pédopsychiatrique et une évaluation de la situation psychosociale par les services de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse). Le psychiatre-expert évoque un trouble chronique de type « état limite » et déclare JB responsable de ses actes. Lors du jugement pénal, le TPE décide d’une peine d’emprisonnement avec sursis et d’un placement en CEF.

Retour à l’époque de la réunion pluri partenariale :

JB a 16 ans, il se présente comme un adolescent au visage poupin, avec un sourire « désarmant et désarmé », deux grands yeux noirs mélancoliques.

Quelques extraits de compte-rendu des professionnels :

  • la psychothérapeute (durant 4 ans) : JB est un sujet présentant une structure psychotique. Il est envahi depuis la petite enfance par un ressenti hallucinatoire et persécutif, vivant la plupart des adressages de langage comme des intrusions, ne supportant aucun contact physique imposé.
  • L’éducateur référent de l’ITEP 2 : Un jeune imprévisible et ingérable au sein d’un groupe. Il est très suggestible et très sensible aux ambiances de groupe, très influençable par les fortes personnalités auxquels il colle. Son potentiel de violence ne doit pas être sous estimé. Pour moi c’est un cas psychiatrique qui dépasse les possibilités d’intervention d’un établissement médico social.
  • L’enseignant de l’ITEP 2 : Un jeune totalement inaccessible aux apprentissages académiques. Je pense qu’il est lecteur, mais il est impossible d’évaluer son niveau scolaire. Le groupe, même de petite taille, est pour lui moteur d’excitation et d’instabilité.
  • Le psychiatre de l’unité pédopsychiatrique pour adolescents : Un jeune atteint d’une forme de « psychose infantile à expression comportementale ». Ces troubles sont sans doute liés à la conjonction de plusieurs facteurs : un trouble précoce du lien, des effets traumatiques des carences, ruptures et maltraitances, des facteurs de prédisposition interne à la décompensation psychotique.

Les traitements tant institutionnels que médicamenteux l’apaisent, dans une certaine mesure, et permettent d’envisager une évolution relativement favorable à condition d’aménager considérablement les conditions d’éducation et de vie quotidienne (tout petit groupe ou individuel).

La lingère de la Maison d’Enfants : Ce gamin-là, tout seul, c’est comme un tout petit, toujours collé à moi ! C’est comme s’il n’avait pas eu assez de maman et qu’il voulait se rattraper. Mais quand il est avec les autres, c’est plus le même, il est comme un diable qu’on ne pourrait pas attraper.

  • Une infirmière du pavillon de psychiatrie pour adultes (unité qui gère les séjours en chambre d’isolement) : JB est un jeune qui semble très malheureux, dans une quête affective importante. Il nous fait penser à un enfant de 3 ou 4 ans. A qui veut bien prendre le temps de l’écouter, il raconte une histoire de vie bouleversante, en repartant de ses plus anciens souvenirs.
  • Le juge des enfants : C’est un cas difficile, un jeune qui pourtant semble respectueux au moment des audiences. Il est important pour moi de pouvoir déterminer si c’est un malade mental, une victime de maltraitances, ou un jeune délinquant pervers et dangereux.
  • La mère de JB : Ce JB là, ce n’est plus mon enfant. Ceux qui ont pris la décision de nous le retirer l’ont transformé en sauvage, et quand il est avec nous, on ne sait pas quoi en faire. Il nous fait peur, il peut être dangereux.
  • Le père de JB : Ce que je peux dire c’est qu’il n’écoutait rien et que la famille d’accueil ne lui a rien appris de bon.
  • JB lui-même : Le discours de JB sur lui-même et sur son avenir est très fluctuant selon les circonstances et les personnes avec qui il échange. Il est tantôt dans une vision grandiose de ses possibilités, en particulier dans le domaine de l’action délinquante, ou au sujet de la séduction des femmes, jeunes ou moins jeunes. Tantôt dans une restitution très négative de l’image qu’il a de lui-même physiquement. Il se sent rejeté de tous et incompris, mais ne renonce pas à se faire un jour reconnaître.

Alors, comment réussir à mettre en place une stratégie commune au sein d’un collectif multidisciplinaire aussi disparate ?

Quelle méthode pour travailler à plusieurs pour aider un adolescent en grande difficulté ?

On voit au travers de cette situation clinique, qui convoque dans une table ronde une douzaine de personnes, que se pose la question de pouvoir ou non travailler ensemble de façon productive, l’objet de production étant un dispositif articulant plusieurs projets parallèles, ce avec un minimum de cohérence, dispositif qui soit acceptable par tous, dans un temps où dans l’esprit de chacun, les représentations sont très loin d’être conciliables, les places elles-mêmes, les références d’institution, ou de mode de pensée (les théories  et doctrines qui sous tendent le travail de chacun) semblant entrer en contradiction.

Je vais donc vous présenter la logique d’une démarche qui peut nous aider à dépasser ces écueils, et nous donner quelque chance. Cette démarche est empruntée aux travaux d’Alain DEPAULIS, psychanalyste très expérimenté dans le domaine du travail socio-éducatif.

La démarche ne prétend pas être révolutionnaire : Elle prend en compte toute une histoire de pensée et une somme d’expérience considérable, et elle devrait le plus souvent faire consensus, c’est-à-dire que chacun pourrait lui apporter créance.

J’illustre ma tentative par cette photographie (Diapo), qui date de 1826 : ‘’ Le point de vue du gras ‘’, pour dire que des choses apparemment simples, voire frustes, sont parfois d’une très grande importance (il s’agit de la première photographie qui ait jamais été réalisée). A l’inverse, les choses les plus simples ne sont pas les plus faciles à mettre en œuvre.

En outre, N. NIEPCE n’a pu réaliser ce cliché qu’en s’appuyant sur les travaux des autres chercheurs qui travaillaient à fixer durablement les images formées au fond de la chambre noire (comme DAGUERRE).

Les deux mots clefs de cette démarche sont « complexité et altérité »

Travailler à plusieurs, une obligation technique et éthique, car il est très risqué de faire autrement :

Pourquoi risqué?

Parce que

  • Le moindre risque est celui de l’inefficacité totale d’actions isolées et incoordonnées (’’ On croit qu’on agit mais on ne fait rien ‘’, ou ’’ On n’avance pas ‘’)
  • Risques liés au souci anxieux de la maîtrise, maîtrise de l’autre, des autres institutions, non prise en compte des particularités de sa position propre, négation des particularités de son propre discours et de son vocabulaire, donc de ses références, de son propre ‘’’point de vue’’.
  • Risques liés à la conviction de détenir le savoir
  • A la méconnaissance ou à la crainte ou défiance vis à vis de l’autre professionnel/institutionnel

Je reviendrai sur ces risques et écueils.

Impossible de ne pas travailler à plusieurs avec le jeune en grande difficulté, en effet :

  • L’adolescent seul n’existe pas, travailler avec les parents, et les personnes avec qui il a établi des liens est incontournable
  • L’adolescence ça n’existe pas, pourrait-on dire en paraphrasant le pédiatre et psychanalyste anglais Donald WINNICOTT.

Il disait dans une conférence de 1940 : « le bébé ça n’existe pas ». (Béatrice DESSAIN, « Winnicott, illusion ou vérité » De Boeck éditions 2007).

Il voulait souligner par là que le bébé en tant que personne n’existe et ne se développe que du fait des liens qui le portent, liens qu’il participe lui-même, le bébé, à construire et à faire évoluer.

  • L’adolescence peut être vue comme le rebond spectaculaire des premières années, comme un moment à nouveau très fécond de prise de distance (d’avec la mère, d’avec les parents, et parfois d’avec les frères et sœurs également). Tout en étant le moment de la création et de la multiplication des liens

Désormais, ces liens vont de préférence concerner des personnes extérieures à l’univers familial, ou plus lointaines dans le schéma familial, comme les oncles et tantes, grand parents, beaux-parents, et ces liens se développent autant de façon horizontale, c’est-à-dire en direction des autres jeunes, que de façon verticale, c’est à dire vis-à-vis d’adultes significatifs, ou vis-à-vis de tout petits. Les animaux familiers trouvent aussi souvent une place particulière dans cette construction des liens.

  • Ce que les psychanalystes nomment processus de séparation-individuation, en fait on pourrait aussi dire individuation-liaison (et non séparation), c’est-à-dire création de lien. L’individuation, à la différence de l’individualisme, ne se fait que dans le cadre d’une présence et reconnaissance de l’autre. D’où découlera ensuite l’autonomisation, c’est-à-dire la capacité à se donner soi-même ses propres règles, en cohérence avec les règles de la société dans laquelle on grandit. Car dans un double mouvement, l’homme institue la société organisée dans laquelle il vit, et la société participe à la construction du sentiment d’identité de chaque personne qui la constitue (cf. travaux de Mme FLEURY, psychanalyste et essayiste, FC le 2/01/2015).
  • Les jeunes les plus en difficulté traversent des turbulences qui sont un écho, une réplique, toujours insistante et parfois brutale d’un vécu relationnel difficile, et parfois déstructurant, ou non structurant, vécu des premiers mois de vie, et disons des deux premières années.
  • Donc l’adolescent tout seul n’existe pas plus que le bébé, et lui venir en aide sera prendre en compte les forces et les faiblesses des liens qui le tiennent tant bien que mal, qui font l’haubanage de sa croissance physique et mentale
  • Autour d’un l’adolescent qui exprime son malaise et son insécurité par des comportements difficiles s’installe parfois entre les professionnels et les structures une situation de non communication, ou de contradiction : cela fait alors douloureusement écho pour lui ou elle, à son propre vécu, présent ou passé, dans le cadre de sa famille ou de son lieu de vie. Travailler ensemble a donc une fonction de prévention du redoublement de la souffrance psychique
  • Par ailleurs : Les manifestions problématiques de l’adolescent présentent cette caractéristique qu’elles se révèlent très efficaces pour nous convoquer autour de lui, comme on l’a vu dans l’exemple clinique.

Petite précision terminologique :

On parle de travail pluridisciplinaire quand des personnes qui travaillent au sein de la même équipe, de la même institution, collaborent. Même s’ils ne font pas le même métier, ils concourent à une même mission, au sein d’une seule institution dont ils partagent le projet, les buts, les références théoriques et professionnelles.

Le travail multidisciplinaire concerne des professionnels qui non seulement font un métier différent, mais aussi le font au sein d’institutions différentes.

Ce que je présente ce jour concerne le travail multidisciplinaire, voire le multi + 1 + N.

Quelques modèles courants du travailler ensemble, qui en situation d’intervention psycho éducative, montrent très rapidement leurs limites :

  1. La réunion de synthèse « traditionnelle » : les différents professionnels exposent leurs observations, rendent compte de leurs évaluations et bilans, et une décision diagnostique et pronostique est prise. Le modèle est très médical, hiérarchisé, il y a un responsable, clinique ou éducatif, clairement identifié, c’est lui qui est garant de la décision prise et de son application, il tranchera s’il y a désaccord ou incompatibilité des avis. Ce modèle peut fonctionner à peu près au sein d’une même institution, et même dans ce contexte, il montre vite ses limites, car les décisions internes à l’institution ont des conséquences sur les décisions à l’extérieur, et ne pas prendre en compte les avis des professionnels ’’ autres ‘’, ou du « dehors », c’est se condamner à terme à l’échec ou au retour au même. Par exemple, une unité d’hospitalisation fait sa synthèse, le projet de sortie est élaboré sans prendre en compte véritablement et en profondeur les avis des intervenants de l’extra hospitalier. Le projet de sortie sera détaillé dans le courrier médical de sortie. Avant même que ce courrier ne parvienne à ses destinataires, il y a de grandes chances pour que le contenu du projet de l’équipe hospitalière soit devenu obsolète ou inadapté. Parce que …, exemples, il y eu une rechute psychique ou comportementale du jeune, un passage aux urgences, la démission ou l’arrêt maladie d’un accueillant familial, un acte de délinquance a été posé entre temps, …

En fait, l’approche médicale traditionnelle, en ’’ faisant synthèse ‘’, tente un amalgame de l’irréductible. Elle peut fonctionner pour une équipe pluri interne, soudée, et focalisée sur quelques problématiques bien ciblées, en médecine somatique ou en chirurgie spécialisée par exemple. Elle ne fonctionne pas du tout dans le cas de problématiques interinstitutionnelles, et de grande complexité de la situation clinique, comme celles qui nous occupe ici.

  1. Le bilan ’’ diaporama ’’ ou ’’ salami ‘’ (une forme de travail qui connaît une montée en puissance avec la multiplication des centres référents)

Dans ce modèle, un coordinateur, sorte de chef d’orchestre, ou les parents, voire un seul parent sans l’avis ou l’aval de l’autre, ou parfois un professionnel plus ou moins isolé, demandent une série de bilans et d’évaluations à des professionnels experts chacun dans son domaine. Chaque expert travaille de son côté, et va produire un document très argumenté et détaillé, témoignant de la science et du savoir faire de l’expert en question.

(Exemple des bilans multiples effectués dans certains « centres de références », ou des expertises croisées demandées en matière judicaire, certains services d’investigations éducatives peuvent travailler sur ce mode).

Le commanditaire se retrouve à la tête d’une liasse plus ou moins épaisse et plus ou moins digeste, certains éléments étant incompréhensibles pour le non spécialiste, liasse dont il lui faudra extraire la quintessence. La construction d’un projet relève alors de l’exercice solitaire, et c’est une gageure, les recommandations des divers experts ayant tendance à entrer en contradiction les unes avec les autres, ou à entrer en contradiction avec les éléments de la réalité concrète (par exemple proposition ou préconisation d’une admission en lieu de vie avec poursuite de soins intensifs en psychiatrie, quand les rares lieux de vie susceptibles d’accueillir le jeune sont situés à grande distance des soins disponibles, avec un personnel éducatif très restreint dont on sait qu’il ne pourra se charger des accompagnements).

On est ici dans un fonctionnement qui repose sur un des modèles scientifiques contemporains, modèle dans lequel les savoirs sont de plus en plus pointus, mais atomisés, et hétérogènes les uns aux autres, tandis que les savoirs totalisants, voire totalitaires (comme le « tout éducatif, tout psychanalytique, tout neurologique, tout sociologique, etc. ») tandis que ces savoirs totalisants ont montré leurs limites depuis longtemps.

  1. Pourquoi travailler à plusieurs : Les écueils sur le chemin de l’échange multidisciplinaire (quelques exemples)

Les écueils les plus fréquents sont liés à deux constantes de la nature humaine qu’il ne faudrait jamais perdre de vue :

– l’ambivalence : on peut ressentir, ou souhaiter, dans le même temps, quelque chose et son contraire. C’est vrai pour le jeune, pour les parents, pour les professionnels également.

Exemple de parents sans cesse sur le dos de leur jeune, avec cette attente qu’il devienne enfin autonome. Ou thématique de susciter ’’ l’envie de grandir ’’, alors que la prise de conscience de la croissance des enfants renvoie à la prise de conscience par les adultes de leur finitude, de leur vieillissement, et parfois de leur difficulté d’adaptation aux changements du monde.

le clivage : il semble que l’être humain ait une tendance irrépressible à désigner un autre, un différent de soi, fût-il très proche de soi, et très ressemblant à soi-même, un autre auquel il est nécessaire de s’opposer, duquel il est impératif de se différencier, qu’il est nécessaire ou réconfortant d’attaquer.

Comment se déclinent ces différents écueils :

  1. Écueils liés aux personnes
  • Les dérives du spécialiste : les risques de la certitude et de la solitude.

Une position très affirmée et argumentée du spécialiste monodisciplinaire induit un recueil d’indices et de signes qui vont dans le sens de l’exercice du praticien. Cela peut aller jusqu’à ce qu’on appelle surdiagnostic : cas par exemple du TDAH diagnostiqué chez l’enfant jeune, la problématique étant parfois rebaptisée TED (trouble envahissant du développement) au moment de l’adolescence et d’une évolution schizoïde manifeste. Cas du diagnostic intempestif (une simple hypothèse devient un fait, est affirmé comme une substance palpable), comme certains troubles dys, avec une confusion des registres de la recherche expérimentale et de la clinique au quotidien.

Autre risque d’un positionnement solitaire du spécialiste : L’erreur diagnostique, certes humaine, et incontournable dans sa survenue, erreur souvent liée à une position solitaire et affirmée du praticien concerné.

Les risques d’un diagnostic trop partiel : Tout un pan de la problématique n’est pas pris en compte. C’est le cas par exemple quand on met en œuvre une lecture ’’ tout psy, sans approche somatique conjointe ’’, pour des troubles mettant en jeu les fonctions corporelles (énurésie, encoprésie, troubles du sommeil, troubles alimentaires…) Une telle lecture exclusivement psy mène parfois le patient et sa famille à une prise en charge psychothérapique interminable, et souvent inefficace sur les symptômes, et parfois font courir le risque de passer à côté d’une anomalie physiologique qui justifiait des soins pédiatriques. A l’inverse, une approche évitante du versant psy (exclusivement pédiatrique, ou exclusivement rééducative), conduit à des impasses (cas d’adolescents autistes présentant des troubles du comportement, avec un usage trop exclusif de certaines méthodes éducatives, et non prise en compte de la dimension de souffrance psychique du sujet, de ses parents, etc. Autant de risques d’impasses)

  • Dans les cas extrêmes, mais non exceptionnels, la position du sachant est celle de la maîtrise, avec la volonté de contrôler les soins ou l’accompagnement de l’usager, voir l’ensemble du dispositif. Deux professionnels tenant ce type de position dans le collectif, et c’est l’escalade de rivalité, avec des effets de découragement chez les autres partenaires, et des effets de paralysie des actions mises en œuvre.
  • Autre écueil, le positionnement passionnel de tel ou tel professionnel, liés aux sentiments projetés plus ou moins consciemment sur l’enfant, ou sur les parents. Le désir de connaître, de comprendre, de s’attacher à l’autre, est indispensable à l’exercice de métiers consistant à fournir de l’aide à autrui, mais il doit être un minimum conscientisé et les effets de ce désir doivent être contrôlés dans la mesure du possible par l’intéressé. L’exercice d’une réflexion en collectif ne protège pas d’un excès de projection passionnelle, (ce que les psychanalystes nomment contre transfert) mais ce travail en collectif peut être très aidant, car chacun pourra entendre comment le jeune ou ses parents peuvent être perçus différemment par d’autres professionnels. Je précise à ce sujet que le travail en collectif ne remplace pas un travail de contrôle ou de supervision.
  • Certains professionnels, très rares heureusement, se révèlent totalement imperméables au travail à plusieurs. Exemple des personnalités rigides et égocentriques qui en réunion présentent leurs positions sans jamais intégrer la position des autres participants. Exemple des personnalités perverses ou de personnalités dépressives, qui mettent leur énergie à faire échouer l’élaboration du collectif ou à décourager les autres professionnels.
  1. Écueils liés aux institutions
    • Inertie et résistance institutionnelles : Toute institution génère au fils du temps ses règles de fonctionnement implicite, sa routine et ses rituels qui sont autant de facteur d’inertie, et rendent difficile le travail avec les autres institutions dont les règles et routines sont perçues comme incongrues ou inadaptées
    • Difficultés à travailler avec l’extérieur ; La tendance au repli sur soi des institutions Certains institutions plus que d’autres sans doute, du fait de leur histoire, de leur importance, et de la nature de leur mission, fonctionnent de longue date essentiellement en vase clos, et sont perçues de l’extérieur comme des ’’ navires inabordables ‘’ ou des ’’ forteresses inexpugnables ’’.
    • La méconnaissance des missions et du fonctionnement des autres institutions et professionnels et l’absence de langage commun Selon les services, les métiers et les formations, le vocabulaire est différent, et parfois les mêmes termes peuvent désigner des concepts opposés (2 exemples de malentendus constatés récemment. Vocabulaire juridique, « mainlevée », confondu avec  « lever la main », exemple de confusion entre un ’’haut niveau d’autisme ’’, et du diagnostic d’ ’’ autisme de haut niveau ’’. Cs d’un enfant qui m’expliquait qu’il avait été placé « par le général ». Il avait prélevé ce signifiant au Conseil général, témoignant peut-être par là sa quête d’un repère clair et d’une autorité incarnée.
  1. Les présupposés théoriques, idéologiques. Doctrines et croyances

Chaque institution repose en général sur une ou plusieurs disciplines, et un corpus théorique plus ou moins explicite. L’acceptation de repères exogènes est parfois difficile voire impossible : bien des médecins somaticiens ne prêtent aucun intérêt aux approches psy, si ce n’est pour pouvoir se débarrasser de cas qu’ils considèrent comme « non médicaux », bien des travailleurs sociaux supportent mal la manie des psys de vouloir tout psychologiser. Parfois sont à l’œuvre des clichés plus ou moins discriminatoires, qui conduisent dans les faits à accueillir très différemment certains types de population, exemple « les jeunes de foyer », ou « les familles avec carte de CMU », etc.

Les institutions ou spécialistes mettent parfois en œuvre, en parallèle, des interventions contradictoires tant dans leur signification que dans leurs effets (par exemple un service d’accompagnement éducatif travaille à préparer un placement du jeune, tandis qu’une consultation de thérapie familiale travaille sur le vivre ensemble à la maison. L’usager est désorienté, les effets probables sont l’augmentation des troubles ou du sentiment d’incompétence.

  1. Risques et écueils imputables aux bénéficiaires eux même, le jeune et les parents

La situation de JB montre comment l’usager lui-même, et les parents, peuvent jouer un rôle très actif, intentionnel ou non, pour paralyser ou faire dévier les projets construits par les professionnels. Par exemple, situation courante s’il en est, le jeune détruit tout lien de confiance, dès l’instant qu’une relation devient significative pour lui (en particulier les relations avec des éducateurs ou avec des soignants). Cas fréquents, les parents critiquent les professionnels en grossissant des évènements réellement survenus, comme des pertes d’objets ou d’effets personnels au sein de la famille d’accueil, en revenant sans cesse sur des défauts de surveillance à la Maison d’enfants. Ces attitudes peuvent favoriser les actings chez le jeune (fugues, actes délinquants – vols, détérioration de matériels, etc.)

          Pour le cas de JB, on voit comment l’étiquette de cas difficile est devenue au fil du temps une sorte de prothèse identitaire, qu’un projet cohérent risque d’attaquer, d’où l’apparent paradoxe qu’un projet bien construit risque de fragiliser le sujet.

Alors, comment réussir à mettre en place une stratégie commune au sein d’un collectif multidisciplinaire aussi disparate ?        Un peu de théorie

Quelques intellectuels hors normes ont réfléchi à ces questions. Je vous présente, très résumées, les approches de trois d’entre eux :

  1. Georges DEVEREUX, anthropologue et psychanalyste d’origine hongroise, ayant travaillé en particulier aux États-Unis et en France, et qui quoique non médecin, est considéré comme l’inventeur de l’ethnopsychiatrie (voir le film « Jimmy P. Psychothérapie d’un indien des plaines » – Il s’agit des amérindiens Mohaves, ce qui signifiepeuple qui vit au bord de l’eau.

DEVEREUX a apporté aux sciences humaines deux concepts désormais incontournables :

  • Le fait que dans les sciences humaines, l’observateur modifie le sujet observé (voir l’ouvrage « De l’angoisse à la méthode »). Donc la recherche d’un point de vue pur et objectif est vaine, contreproductive. Deux personnes différentes, fussent-elle très proches du point de vue professionnel et personnelles, ne donneront pas la même lecture d’une même situation clinique
  • Le concept de complémentarité (approche complémentariste) (1961-1972), qui est défini ainsi :

« Un phénomène humain ne peut jamais avoir une seule explication. Dès lors qu’un phénomène admet plusieurs explications, il peut en admettre d’autres encore, tout aussi capables de rendre compte de la nature du phénomène. Plusieurs approches d’un même fait, qui jouent de complémentarité (comme en ce qui concerne ses travaux de l’époque, la psychanalyse, la sociologie et l’anthropologie) vont donner des points de vue hétérogènes, mais non contradictoires…

…Rendre compte de la réalité nécessite au minimum deux discours. Chaque discours doit être pensé et énoncé, mais pas simultanément, et pas par le même praticien… »

  1. Edgar MORIN (Né en 1921) (sociologue et philosophe, personnalité mondialement reconnue et membre de diverses universités dans le monde entier). Son œuvre est considérable, et caractérisée par une érudition phénoménale. Résumer en quelques mots son apport dans le sujet qui nous concerne aujourd’hui est une gageure. Je m’y risque tout de même :

Edgar MORIN met en avant l’hétérogénéité du monde sensible, une hétérogénéité irréductible. Il propose, pour pouvoir agir sur notre monde, de le considérer comme une sorte de complexus, de tissus de fils distincts dont chacun possède des caractéristiques différentes. « La méthode de la complexité n’a pas pour mission de retrouver une certitude perdue, mais au contraire elle se nourrit d’incertitude… »

  1. Bruno LATOUR (Sociologue, anthropologue et philosophe français, Né en 1947), dont les travaux sont très connus et reconnus à l’étranger, en particulier dans le monde anglo saxon). LATOUR étudie les articulations possibles entre des discours d’origines diverses, et il conclut que nul accord n’est possible si on ne part pas du fossé qui nous sépare les uns des autres : fossé entre les cultures, fossés entre les approches médicales, administratives, juridiques, sociologiques, pédagogiques…la conscience de cet abîme est prometteuse, elle nous permet d’être égaux les uns face aux autres, car nous ignorons tout de la perception de l’autre, lui seul peut nous l’apprendre. Il promeut dans le travailler ensemble la notion de diplomatie selon laquelle chacun doit expliciter ce à quoi il tient à son niveau propre d’expertise, et en contrepartie faire place aux données de l’autre, à ses priorités et à ses incontournables, et ainsi de ménager et reconnaître cet espace, ce fossé incontournable existant entre les positions des uns et des autres.

Les grands principes de la méthode :

  1. Garder à l’esprit que l’usager, si diminué soit- il par sa condition et/ou ses troubles, est et doit rester au centre de nos préoccupations, et donc de nos dispositifs de réflexion
  2. Trouver un objectif commun à notre collectif disparate : Produire un diagnostic collectif qui n’exclut pas le doute, qui parte du présupposé d’un non savoir ; et tienne compte de l’ambivalence foncière de l’esprit humain
  3. Agir pour favoriser l’échange (et non de gagner une partie) : Lutter ainsi contre les tendances au clivage
  4. Assumer la différence et la contradiction, voire la conflictualité des positions, qui n’est pas la conflictualité des personnes.

L’espace constaté entre les positions des uns et des autres se révèle à l’usage un terreau de créativité pour les collectifs multidisciplinaires, et c’est souvent dans l’entredeux de plusieurs rencontres qu’émergeront des idées nouvelles.

Cela peut parfois conduire à …

  1. Assumer les positions irréductibles, incompatibles. Quand c’est le cas, et l’exposer à l’usager (c’est-à-dire au jeune et à ses parents, et à l’institution qui pilote…)
  2. Veiller à ne pas empiéter sur l’espace professionnel et de responsabilité de l’autre
  3. Utiliser une langue non pas commune et pseudo égalitaire, mais une langue qui soit compréhensible par tous. Mettre en place la possibilité pour chacun de demander à ce que tel ou tel discours soit reformulé.

Donc éviter les jargons, ré expliciter ou reformuler avec un vocabulaire acceptable par l’autre, ou qui ne prête pas à confusion…

Le travail multi en pratiques:

Mettre en place un dispositif qui permette l’échange :

Il s’agit en pratique de pouvoir mettre en place des rencontres, des réunions multiD dont le cadrage soit suffisamment clair et rassurant, avec des outils simples mais exigeants qui suscitent la poursuite de la réflexion collective en dehors des temps de rencontre.

Le cadrage :

  • Se présenter à chaque fois, ou au moins dès l’instant qu’une personne nouvelle est présente, en apportant une importance particulière à ce que le rôle de chacun vis-à-vis de la situation travaillée soit précisé (exemple, d’ un jeune placé : dans quel contexte il est placé –autoritaire ou contractuel ?-, quel mode de placement, pour quelle durée, date des réunions ou audiences qui vont régir la suite du placement, personnes chargées du suivi du placement, du côté du jeune, du côté de l’autorité parentale…)
  • Définir la durée, le rythme des rencontres
  • Penser l’animation du temps de réunion, et l’animation des temps entre les réunions (c’est-à-dire le travail sur des navettes d’un écrit par exemple, ou sur des points téléphoniques entre tel ou tel intervenant)
  • Se poser la question de la prise de notes et d’un travail possible sur les notes prises
  • Se donner des règles simples en ce qui concerne les échanges off, c’est-à-dire entre deux ou plusieurs membres du collectif, dans l’entre deux des séances.

Le diagnostic en marche : chronologie et temporalité du travail multiD :

Le travail à plusieurs autour d’un jeune en grande difficulté nous fait entrer dans une temporalité étendue : Des mois, et parfois des années. Il faut pouvoir l’accepter et l’assumer, voire l’exiger.

Peu d’intérêt donc de démarrer ce type de travail à quelques semaines d’une audience, ou d’un déménagement du jeune dans une autre région, si ce n’est pour préparer un document pour assurer une continuité des informations médicales et psycho éducatives.

Rythme et durée, le temps du diagnostic à plusieurs est un temps souple et durable en réalité une garantie, ou presque, d’efficacité et de productivité.

Un dispositif qui favorise l’échange, de façon la plus horizontale possible :

Le dispositif de travail doit permettre à chacun d’exprimer son point de vue, en minimisant au maximum les effets de hiérarchie, de pouvoir, de prestige, au sein des institutions. La parole d’un stagiaire, d’un technicien et d’une lingère ont autant d’importance que celle du chef de service ou du médecin spécialiste.

Les points de vue sont différents, et c’est tout l’intérêt (cf. le cas JB). C’est en partant de la confrontation de ces points de vue qu’on peut ébaucher un tableau renouvelé de la situation du jeune.

Par exemple un éducateur technique a constaté à l’occasion d’une sortie que ce jeune, réputé ne s’intéresser à rien, montrait des aptitudes particulières pour s’approcher d’animaux domestiques, ou bien un animateur sportif a constaté une résistance physique remarquable à l’occasion d’une marche en montagne, un autre a noté que ce jeune, d’habitude indifférent à l’autre, était capable dans le cadre d’une activité escalade d’assurer correctement l’initiation technique des débutants. Tel jeune, à l’occasion d’un stage au côté d’un homme d’entretien, a montré lors des choix de décoration de sa chambre une sensibilité esthétique insoupçonnée. Autre exemple, celui des veilleurs de nuit qui, dans les institutions, ont souvent des observations très intéressantes à produire, observations trop rarement exploitées.

La régulation du collectif :

C’est une question redoutable en pratique. Il est indispensable que dans les moments de blocage, le collectif puisse mettre « en pause » sa réflexion sur le cas traité, pour réfléchir sur sa façon de fonctionner et ce qui crée blocage.

Une bonne formule, rarement appliquée pour le moment, est qu’un professionnel coopté par le collectif, mais non impliqué personnellement dans la situation, et en position non hiérarchique, puisse assurer cette régulation : rappeler les règles, et proposer un « temps de méta élaboration » lorsque c’est nécessaire : C’est-à-dire quand des enjeux ou conflits entre les institutions, ou entre les personnes, ou des réactions passionnelles de l’un ou l’autre paralyse le travail du collectif

Ces temps de pause réflexive vont prendre du temps, pour au final augmenter la productivité du collectif, dans le sens où ils détoxiquent les échanges, et souvent débloquent une situation figée.

La régulation du collectif doit aussi s’intéresser aux communications inter  ou off, c’est-à-dire les contacts qui ont lieu entre les membres du collectif, concernant cette même situation difficile, après la rencontre, ou entre les rencontres. Ces contacts sont le plus parfois indispensables, dans le contexte d’évènements (fugue, évolution clinique, décision des parents, décision administrative ou de justice, etc.). Un des intérêts du travail en collectif multi est de les rendre plus faciles et plus efficaces. Ces échanges inter ou off sont cependant parfois l’occasion de débriefer, de « vider son sac », ou d’une communication cathartique, avec un risque de retour des clivages, ou de connivences rassurantes mais bloquantes.

La régulation du collectif prévoit une règle simple de restitution au collectif d’un résumé de ces échanges off :

Si leur multiplication vide le travail du collectif de sa substance, le collectif doit se poser la question de son propre fonctionnement (travail méta) ou de l’intérêt de poursuivre ses rencontres.

Les écrits, ou les actes du collectif (selon l’expression de A. DEPAULIS)

La question de la prise de note d’un écrit qui soit accepté par tous, ou plutôt par chacun, est fondamentale, mais parfois difficile à mettre en place en pratique. J’ai connu une expérience intéressante en ITEP, où la prise de note se faisait ’’ debout au tableau ‘’, avec corrections en direct, une modalité de travail exigeante et très intéressante.

Les nouvelles technologies de tableau électronique pourraient être mises à profit pour faciliter cette production collective.

Une autre expérience bien connue est celle des Équipes de suivi de scolarité (ESS), au cours desquels l’enseignant référent prend des notes, et à la fin fait signer les participants, chacun repartant avec une photocopie. D’autres équipes, comme les SESSAD, se chargent d’un travail de « navette de texte » entre les séances, avec correctifs (chacun corrigeant son propre apport du moment. Ces actes écrits sont le support d’une réflexion dans l’entre deux des sessions).

Le travail à Plusieurs + 1 + N

Ou

Comment associer le jeune à notre réflexion, et les parents ou responsable ?

C’est sans doute dans cet aspect des choses que la pratique, en France tout au moins, est la moins satisfaisante.

En effet, pour ce que j’en connais, l’usager est très régulièrement associé chez nos voisins proches, Allemagne, Belgique, et pays anglo saxons, dont le Canada.

Les réformes importantes de 2002, 2005 et 2007, dans le domaine du médico social comme de la santé, ont placé ’’ l’usager au centre du dispositif et de la prise de décision ’’. Cette association se fait sur le principe de la demande d’avis, du consentement éclairé.

En pratique, cela se résume souvent à l’application d’une signature après une séquence plus ou moins longue d’explications concernant le projet. Dans la démarche d’un ’’diagnostic en mouvement ’’, l’association du bénéficiaire des soins et de l’accompagnement pourrait être pensée et organisée différemment, c’est-à-dire que le jeune lui-même pourrait être mis en position de préciser et proposer des idées sur son avenir et sa prise en charge, ce y compris à l’occasion de réunions multi disciplinaires. Un des grands intérêts de la démarche est qu’elle peut aider à court-circuiter des phénomènes de sabotage venant du jeune lui-même, et ou de son entourage.

Dans la réalité, ce type de fonctionnement participatif est d’ores et déjà expérimenté dans de nombreuses structures de travail, parfois dans le pluri professionnel, parfois dans Multi Professionnel.

Certaines institutions, médico sociales le plus souvent, expérimentent ce qui est appelé ici plan de service, ailleurs réunion de suivi de projet, etc. :

Des temps de rencontre entre le jeune, les parents, et plusieurs membres représentatifs de l’équipe pluri disciplinaire, temps au cours duquel le projet d’accompagnement du jeune est détaillé et présenté, qui ouvre un débat avec le jeune pour recueillir son avis, ses réactions et éventuellement ses propositions de correction, idem concernant les parents, qui sont sollicités pour signer le projet d’accompagnement.

Ces temps sont cependant très ponctuels, le plus souvent une ou deux fois par an, mais peuvent être considérés comme des prémices de ce que pourrait être un Travail à plusieurs+1+N, tout en restant dans le champ du pluridisciplinaire, c’est-à-dire concernant une seule institution.

Des situations existent où travaillent, dans un même temps et dans un même lieu, et le collectif multi, et l’usager et ses parents ou responsables. A nouveau l’exemple le plus courant est celui de l’Équipe de suivi de scolarité, ESS, ou de l’équipe éducative organisée au sein de l’institution scolaire.

L’expérience montre combien ce type de réunion peut adopter un style et un fonctionnement très différent, selon la façon dont elle est organisée et surtout cadrée, régulée.

Un autre exemple, serait celui des audiences chez le juge des enfants ou des réunions préparatoires aux audiences, telles que pratiquées dans certains tribunaux pour enfants. Les travailleurs sociaux sont parfois associés directement, et parfois même des soignants ou thérapeutes. Mais dans ce cas les règles qui régissent la rencontre font qu’un processus de diagnostic collectif en marche, au sens strict, est ici non envisageable, car la décision revient au juge seul, sous la forme bien réglée de la rédaction d’un jugement ou d’une ordonnance.

Conclusion

 Les sciences humaines, éducatives, psychologiques, médicales, pédagogiques, pénales, etc. ne cessent de proposer des modèles de plus en plus précis et spécialisés pour rendre compte de la réalité complexe de la vie humaine. La tendance contemporaine est à la technicité et à l’hyperspécialisation, et au maximum de cette tendance, le spécialiste sait ’’ tout sur rien ’’, le généraliste, ’’ rien sur tout ’’.

Cette atomisation des savoirs n’épargne pas la psychopathologie de l’adolescent, et se manifeste par une multiplication des avis, des bilans, des expertises, des intervenants.

Le risque de cette évolution est celui d’une autre multiplication, la multiplication des situations d’impasse. L’antidote, et donc un enjeu essentiel, est la formation des professionnels de l’humain au travail multidisciplinaire, et aux méthodes qui permettent de prendre en compte complexité et complémentarité des points de vue la formation au travail en multidisciplinarité.

Ainsi en guise de conclusion je propose un nouveau marqueur linguistique :

’’ L’adolescent en grand difficulté, il relève d’un travail à plusieurs ’’

Bibliographie

– DEPAULIS A. 2014 Travailler ensemble, un défi pour le médico-social
Toulouse Erès

– DESSAIN B. Winnicott, illusion ou vérité 2007 Bruxelles De Boeck
– DEVEREUX G. 1951(1998) Psychothérapie d’un indien des plaines
Paris FAYARD
– LATOUR B. Un monde pluriel mais commun Paris Éditions de l’Aube
– MORIN E. 2001 La méthode, vol. 6 L’éthique Paris Le Seuil
– WINNICOTT D. W. 1971 (1975)  Jeu et réalité Paris Gallimard