PENSER UNE ACTION COLLECTIVE

Synthèse des travaux réalisés pour le Conseil départemental de la Creuse sur le thème de la cohésion sociale.

PENSER UNE ACTION COLLECTIVE
Réflexion collective sur le service social d’aide à la personne précaire
En partenariat avec : la CAF, la CARSAT, le CCAS, la Mission locale, la MSA, le SIAO, l’UDAF et l’UTAS
Juin 2022

PENSER UNE ACTION COLLECTIVE
Essai de réflexion collective sur le service social d’aide à la personne précaire
Prétexte :
A la demande du Conseil départemental de la Creuse, le groupe de recherche Pluriact a mis en
œuvre un cycle de réflexion sur le thème de la cohésion sociale afin d’améliorer le service à la
personne précaire. Durant neuf mois (sept 21-mai 22), douze représentants des services
concernés par cette population se sont engagés dans des échanges dont le présent document
rend compte. Le collectif comprend des membres de la CAF, de la CARSAT, du CCAS, de la
Mission locale, de la MSA, du SIAO, de l’UDAF et de l’UTAS.
Méthodologie :
Pluriact propose un cycle de 6 séances + 1. six séances de réflexion et une séance réflexive.
Chacune des 6 séances présente un thème interrogeant le fonctionnement collectif :

  • Un état des lieux : Comment les différents services concernés par les personnes précaires
    travaillent-ils ensemble ? Les obstacles et les difficultés rencontrés.
  • Un objectif commun : Chaque service a une mission précise, une méthodologie spécifique.
    Qu’ont-ils en commun ? Qu’ont-ils à partager ? Comment fédérer ces actes séparés ?
  • Un usager acteur : La société aspire faire de chaque usager un acteur. Dans le champ social
    comment faire de l’usager un acteur de son parcours de vie ?
  • Une reconnaissance mutuelle : L’expérience montre que les acteurs du social ne
    connaissent pas vraiment les missions et obligations de leurs partenaires. Comment se
    connaître, se reconnaître, être reconnu ?
  • Comment pratiquement travaille-t-on ensemble ? Quels sont les modalités de rencontre ?
    Comment prendre en compte les logiques des partenaires ? Comment circule la parole ?
  • L’éthique : La fluidité des relations entre partenaires ne peut se garantir sans une constante
    interrogation de la façon dont chacun se comporte. De quels moyens réflexifs dispose-t-on
    pour soutenir les meilleurs échanges humains et professionnels possibles.
    La 7ème séance vient clore le cycle par un retour critique de la démarche proposée. Les
    participants sont invités à faire l’analyse du processus et contribuer ainsi à l’outil proposé par
    le groupe de recherche.
    Les 6 séances ont été animées par Alain Depaulis, Pierre Tagand et Sandrine Lardiller, la séance
    7 par Alain Molas et Mireille Depaulis.
    Avec la participation de : Amandine Cadet, Sylvie Chaput, Adeline Dallot, Christian Diabonne,
    Brigitte Dudrut, Julia Dutheil, Claire Gaulier, Céline Mazal, Lucille Mollica, Clarisse Morel,
    Florence Nichon, Mikaelle Savary et Manuela Dzozenkam, Leteuil Quitter, stagiaires.
    Le compte rendu final a été établi par Alain Depaulis et validé par les participants.

    PREMIERE SEANCE
    Un état des lieux
    Dès le début de la rencontre s’exprime l’aspiration d’avoir davantage de réactivité pour
    répondre le mieux et le plus rapidement possible aux situations. Certains services sont
    naturellement conduits et habitués à travailler avec des structures voisines. Par ailleurs, il est
    constaté une évolution notable dans les relations entre services : « On travaille de mieux en
    mieux, les échanges et les relations nous permettent de faire avancer la personne » et aussi :
    « J’ai vu une évolution remarquable depuis 12 ans. Il n’y avait aucun partage d’information. Le
    travail en partenariat est bien plus efficace. J’ai davantage de contacts et d’informations qui me
    permettent d’aider au mieux les personnes. Il y a eu une évolution des services, des chefs de
    services et des professionnels. » D’autres parts, des dispositifs sont mis en place pour éviter que
    la personne ne soit ballotée d’un service à un autre. Ils doivent permettre de diriger la personne
    vers les services compétents. Des partenariats institutionnels se développent.
  • Les difficultés.
    Ce constat n’exempt pas des difficultés observées à différents niveaux. Au nombre des causes
    de ces difficultés, il est d’abord cité la méconnaissance des services, des missions, des
    partenaires. Il y a quelques années, un diagnostic a été organisé au Conseil départemental, il a
    permis une rencontre des professionnels et de mieux travailler en partenariat, mais sans suite.
    Il est déploré une méconnaissance des urgences et des temporalités de chaque service :
    « Apprendre comment travaille l’autre permet de comprendre et dédramatiser. » Le turn-over
    des personnels observé dans certaines structures ne facilite pas la continuité des échanges et
    peut générer des conflits : « Pour se faire connaître c’est difficile. J’ai l’impression que les
    partenaires ne connaissent pas mon service. » Les changements de personnes, à fortiori de chef
    de service rebattent les cartes.
    Les conflits sont en effet évoqués comme conséquence de dysfonctionnements qu’il s’agisse
    de conflits entre chefs de service, de conflits interprofessionnels ou encore de conflits entre
    structures à cause par exemple des missions : « Qui fait quoi et sur quel critère ? Quelles sont
    les pratiques de chacun ? » Ces conflits ont un impact sur l’accompagnement des personnes :
    « Quand on communique par téléphone ou par mail, on a l’impression que la personne est
    agressive alors que ce n’est pas le cas. C’est le meilleur moyen de créer un conflit alors que
    cela peut être résolu très facilement. » La prise de conscience de ce dommage a justifié des
    rencontres entre certains responsables afin de clarifier le cadre des interventions.
  • Les services sociaux à l’heure du confinement
    Amplificateur, révélateur ? Le confinement imposé par la crise sanitaire s’est offert comme
    précieux objet d’analyse des fonctionnements et dysfonctionnements : « Le confinement a été
    un amplificateur d’isolement. Très clairement, cela a montré les limites organisationnelles en
    interne comme en externe. » Le critère le plus sensible concerne ses conséquences sur
    l’usager isolé, parfois coupé de sa famille, quelques fois privé d’aides : une dégradation
    psychique des personnes et la difficulté des professionnels à apporter la réponse adaptée à
    chaque situation. Les aidants craignaient de donner le virus aux personnes. Ce contexte a généré
    des tensions, des conflits verbaux ou physiques, certains usagers perdant toute limite avec les
    professionnels : « Nous sommes confrontés à la violence. Lors du premier confinement, il y a
    eu une agression physique avec menace de mort. » Un des participants interroge la place qui
    est donnée à l’usager. Une palette d’outils lui est proposée mais sans qu’il soit invité à y prendre
    part. Il y a quelques années, à la sécurité sociale, un concept avait été proposé afin de nommer
    ces personnes qui ne font pas valoir leurs droits, le non-recours aux droits. Des outils ont été
    imaginés pour les mobiliser, mais ces efforts n’ont pas eu l’effet escompté : « Se tourner vers
    l’assuré, interroger la qualité de notre rapport avec l’assuré, cela présuppose que les institutions
    ne s’enferment pas. »
    Le confinement n’a pas été plus facile à vivre pour les professionnels. Il a été pour eux
    également une privation de liberté avec cette conséquence inédite de faire entrer la sphère
    professionnelle dans la sphère privée, dans le milieu familial : « Certains collègues ont travaillé
    dans leur voiture pour être tranquille. » D’autres, refusant cette intrusion dans leur espace
    personnel, ont fait le choix de continuer à se rendre à leur bureau. Ce quotidien improvisé a
    majoré les problèmes de communication. En temps ordinaire les situations délicates font l’objet
    de rencontres avec les partenaires. Les réunions en Visio se sont substituées aux échanges
    directs en présentiel, riches du non verbal et des apartés avant et après. En temps normal le
    responsable a un rôle de régulateur dans les situations, là, les consignes de la hiérarchie se
    faisaient par mails ou par téléphone, des moyens qui favorisent l’incompréhension. Le contexte
    a entraîné une suractivité des personnels avec une pression dont les responsables ont dû tenir
    compte. Il a été observé un épuisement des personnes face aux incessants appels téléphoniques
    et aux situations dramatiques vécues par les usagers. Que l’on songe aux annonces de décès et
    à l’impossibilité d’assurer des obsèques dignes pour leur défunt : « Pendant le confinement,
    c’était 20, 30 appels sur notre portable personnel. Il y avait des signalements importants sur des
    personnes suicidaires et d’autres où il n’y avait pas grand-chose à traiter. Ça sonnait, ça sonnait.
    C’est un enfer à vivre car on sait qu’il y a une urgence. Et prendre du recul quand on est chez
    soi, c’était oppressant. » Les responsables devaient planifier les tâches pour les salariés, tenir
    compte de ceux qui avaient des enfants en bas âge… Dans ce contexte difficile, une partie des
    professionnels considèrent avoir pu continuer à travailler correctement, une insatisfaction
    majeure s’exprime cependant relative aux différences de réactivité des services face à la crise.
    Flexibilité ou inertie, les services ont eu une réactivité variable. Durant le confinement, un seul
    service a assuré un accueil physique au public. Ce contexte compliqué avec des situations
    critiques a demandé de l’adaptation et de la polyvalence mais il en est résulté une plus grande
    cohésion de cette équipe dont les bénéfices sont toujours ressentis. Bien des services n’ont pas
    pu assurer un accueil téléphonique immédiat adapté, d’autres bénéficiant de plateformes
    téléphoniques opérationnelles ont pu compenser. Ainsi certains services recevaient-ils toute
    sorte de questions : « L’écoute était la plus importante car il y avait une grande détresse puis
    nous orientions les personnes vers les services adéquats. » A partir de l’expérience vécue lors
    du premier confinement ce service s’est efforcé de mieux connaître ses partenaires afin de
    favoriser une meilleure orientation de l’assuré. Les moyens matériels se sont révélés
    indispensables, les équipes bien dotées en ordinateurs et téléphones portables ont permis à leur
    personnel d’emporter leur matériel. Ceux qui ne disposaient pas de matériel utilisaient leur
    téléphone personnel. Le plus douloureux pour les professionnels fut la suspension des
    rencontres physiques avec les usagers. Certains services étaient fermés, alors que certaines
    personnes n’ont pas de téléphone : « J’avais le téléphone du service pendant le confinement. Je
    ne faisais que ça. Je prenais mon temps. Les personnes étaient contentes d’avoir quelqu’un au
    téléphone. Quand je leur disais que la porte était fermée, ils n’appréciaient pas. » Seules les
    urgences étaient assurées, mais il y avait de nombreuses situations critiques : « C’était très
    frustrant. Il fallait faire des démarches auprès de la hiérarchie pour aller faire des visites à
    domicile, pour rencontrer des gens. Il fallait justifier pourquoi cette personne avait besoin. »
    Ainsi la continuité des actions a-t-elle été assurée de façon variable selon les services. Certains
    ont plus souffert que d’autres. Le confinement a révélé une inertie chez certains et la nécessité
    d’assouplir leur fonctionnement : « Ce qui est intéressant c’est la réactivité. Cela a révélé une
    certaine souplesse des uns et des autres. L’évidence qui s’est révélée est que nous sommes utiles
    dans notre mission. Je pense même qu’elle est essentielle. Le télétravail n’est pas le seul moyen
    de travailler, ni le nouveau paradigme de l’emploi. »
  • Le service social à l’aune de la dématérialisation
    L’expérience virtuelle imposée par le confinement a projeté les équipes vers un avenir où les
    outils numériques deviennent indispensables aux professionnels mais où ils menacent le sens
    même du travail social auprès de la personne. C’est le cœur de la discussion de cette première
    séance. Les participants accordent une utilité au télétravail, certains le pratiquaient avant le
    confinement : « La dématérialisation concerne le fait de travailler à distance ou alors le fait de
    travailler sur les dossiers en lignes. Les services en ligne permettent de gagner beaucoup de
    temps sur un dossier. Cela permet d’éviter les envois postaux. » Et aussi : « Ça a le mérite
    d’exister pour créer d’autres choses. Cela peut mettre en lumière les besoins mais en même
    temps en tant qu’acteur de terrain c’est très compliqué à chaque fois de chiffrer. » Ainsi en
    désignent-ils les limites : « On ne peut pas quantifier notre travail par tâche. Il y a des choses
    qui se passent dans l’informel, dans les échanges. On ne pourra pas le percevoir à distance. »
    Ou encore : « Par notre métier du social, nous avons besoin de contact physique. Le téléphone,
    ça va un temps. Les gens ont besoin de nous voir même si c’est pour pas grand-chose. Recevoir,
    pour certain a un côté rassurant. Et encore : « Je voulais rebondir sur le fait que l’on travaille
    avec l’humain et il me semble que l’on devrait privilégier le qualitatif au quantitatif. » Les
    professionnels voient se profiler avec inquiétude un recours usuel à cette pratique : « Le
    télétravail devient le dada. Ils ont constaté de manière générale que la productivité est accrue
    (pas d’espace-temps perdu, pas d’échange avec les collègues, pas de pause). » Et aussi : « Je
    crains qu’il y ait de plus en plus de fracture (dégradation des personnes à force d’être enfermées
    sur eux-mêmes). Ce n’est pas suffisant le télétravail. Doit-on rentrer en résistance ?

Ainsi les avantages incontestables attribués aux pratiques numériques ne vont pas sans
préoccupantes réserves au plan humain. La dématérialisation est programmée pour 2025. Des
formations « inclusion numérique » sont dispensées, mais elles ne dissipent pas les inquiétudes
des professionnels : « On va renvoyer les gens vers des démarches à faire en ligne alors qu’ils
ne sont pas forcément équipés et qu’ils ne savent pas faire. » Le problème se pose également
pour les personnes âgées, la dématérialisation ne leur donnera pas plus d’autonomie et ne les
aidera pas davantage à comprendre les démarches. Cette inquiétude est ainsi vigoureusement
exprimée : « On laisse sur le carreau une frange de la population car elle est très éloignée de la
numérisation. Je déplore également la multiplicité des outils informatiques, des logiciels. Il
s’agit de la même personne. C’est une perte de temps de rechercher sur tel logiciel pour
compléter un autre logiciel. Il suffirait d’un seul logiciel qui permettrait la gestion des
documents administratifs et peut-être sur la base de l’accréditation d’accéder à une base de
données supplémentaires. »

  • Pour conclure
    Les participants font le constat que durant la crise sanitaire une continuité du service public a
    pu être assurée, fusse parfois au détriment de la vie personnelle et de façon plus ou moins souple
    selon les services. Il faut dire que certains professionnels ont mal vécu le confinement, ils n’ont
    pas pu répondre aux besoins comme il aurait fallu et en sont sortis épuisés. Les demandes
    répétées de justification pour agir pouvaient être perçues comme un manque de confiance. En
    revanche, d’autres, en ont tiré des avantages, le salarié s’est vu réinvesti de confiance par la
    hiérarchie, les équipes ont gagné en cohésion et le partenariat s’est vitalisé : « Du jour au
    lendemain, une dynamique de confiance s’est installée-Tu es autonome, la preuve de chez toi
    tu peux-. L’ensemble des partenaires se sont mis à communiquer sur leur légitimité et sur leur
    adaptation et sur leur offre de crise. On continue à exister. On a proposé des alternatives. »
    Enfin, tous sont unanimes à dire qu’il était déplacé de leur demander des évaluations à l’issue
    des confinements.

DEUXIEME SEANCE
Partager un objectif commun
Un objectif commun est immédiatement identifié, quelle que soit la nature du service le point
commun est l’aide à la personne fragilisée, énoncé aussi en termes d’intérêt de la personne. Il
en infère une notion de culture commune à développer : « Cela commence par la connaissance
de chacun d’entre nous. La pertinence de l’existence des partenaires va permettre de développer
ensemble un axe de travail qui va aller dans l’intérêt de la personne (connaissance et
accompagnement à la résolution de sa situation). » Les participants sont unanimes à affirmer
l’importance des relations partenariales. Des échanges nécessaires courants existent entre
certaines structures mais les occasions d’échanger avec d’autres services sont plus rares.

  • Une nécessaire présentation
    Parler d’objectif commun suppose de connaitre les missions et méthodes de chaque service.
    La Mission locale touche un public entre 16 et 25 ans. Les personnes sont volontaires, elles
    s’inscrivent personnellement. Le service travaille avec le CIO (décrocheurs scolaires), le
    Conseil départemental (bénéficiaires du RSA), le Pôle emploi (accompagnement de
    demandeurs d’emploi). Un des ressorts importants est l’aide à l’autonomie. Un relais peut
    s’effectuer à la fin de l’intervention.
    A la CARSAT-Maladie, le professionnel intervient après appel d’un partenaire. La prise en
    charge s’étale entre 1 et 3 ans. La difficulté est d’articuler une réalité de droit institutionnel et
    une réalité médicale. Les situations complexes nécessitent un partenariat afin de construire un
    projet commun.

    A la CARSAT-Retraite, le problème est différent car la plupart des gens pense que le passage
    à la retraite se fait automatiquement. Cette étape doit être l’objet d’un accompagnement afin
    qu’elle soit assumée le mieux possible avec les informations nécessaires, sans négliger la prise
    en compte de l’éventuelle angoisse de ce passage.
    A la MSA, certains professionnels interviennent de façon ponctuelle sur une problématique
    spécifique, principalement d’accès aux droits. L’approche est généraliste, la MSA, étant le
    guichet unique des publics agricoles (sécu, retraite, caf, médecine du travail…) accompagne
    tout au long de leurs vies ses ressortissants. Inscrit dans le dispositif agri-accompagnement, la
    MSA peut aussi réaliser des accompagnements longs de 1 à 5 ans. L’accompagnement est
    socio-professionnel et partenarial avec des rencontres organisées avec la chambre d’agriculture,
    les conseillers de gestion, les services vétérinaires.
    A la CAF, le travail consiste au versement du juste droit avec des missions pour le public cible
    (les changements familiaux importants, décès, parentalité). L’intérêt est de faire en sorte que le
    changement de situation se passe le mieux possible et d’apporter les informations. Le service a
    de plus en plus une action proactive. Bien qu’elle s’inscrive sur la protection, la définition du
    travail social est d’attendre la demande et là elle est plutôt dans la position inverse puisque le
    service intervient maintenant auprès des personnes qui potentiellement peuvent avoir des
    problèmes. C’est à l’inverse des actions des collègues du secteur.
    A l’UTAS, les demandes arrivent par les partenaires présents aujourd’hui, parfois par les élus
    locaux. Le service social du département accueille toute personne présentant des difficultés de
    toute nature et notamment en lien avec le paiement des charges courantes : énergie, loyer… La
    démarche de venir au service peut-être difficile. Pour les impayés de loyer, ce sont quelques
    fois les services de la CAF, l’état ou les huissiers qui informent le service. Il existe toujours des
    représentations péjoratives sur les assistantes sociales d’où l’intérêt de connaître leurs
    fonctions : « Notre travail ne se résume pas aux aides financières. L’assistante sociale de secteur
    travaille beaucoup dans l’urgence, urgence alimentaire ou ouverture de droit. L’immédiateté ne
    favorise pas la prise de recul. »
    Au CCAS, les missions peuvent être légales ou facultatives. Les premières sont obligatoires.
    Les personnes accèdent au service par connaissance personnelle, par la mairie ou par le Conseil
    départemental. Les actions du centre concernent l’aide alimentaires d’urgence, la domiciliation,
    les dossiers d’aide sociale, l’épicerie sociale, les ateliers de bien-être. Dans le service certains
    dispensent de l’information, de l’orientation vers des partenaires, d’autres travaillent sur le
    moyen terme. Le travail en équipe permet de déterminer les missions de chacun pour répondre
    au mieux aux besoins de la personne.
    A l’UDAF, les personnes peuvent être orientées par divers partenaires vers différents services
    propres à notre structure, comme l’accompagnement budgétaire ou logement ou encore
    pour des problèmes de mobilité. L’UDAF a plusieurs services dont l’action a, en général, pour
    but de favoriser l’insertion sociale et permettre aux personnes d’acquérir davantage
    d’autonomie. L’UDAF représente les familles dans des instances et commissions
    départementales auprès de différents organismes (CCAS, CAF, MSA, CPAM, etc…)
    Pour le SIAO 115 et le Centre de jour, les personnes sont orientées par les partenaires ici
    présents. Les personnes qui arrivent sont en bout de parcours. La prise en charge est reprise à
    zéro souvent sur le plan administratif (plus de ressources, plus de couverture sociale). Le Centre
    de jour permet un accueil au chaud avec des commodités appréciables quand on est démuni.
    Un travailleur social est à leur disposition pour comprendre leur besoin et leur projet. La
    dimension psychologique est importante. Le SIAO mène un travail d’insertion par
    l’hébergement. Les professionnels font donc le lien pour l’accès à des ressources, à leur
    déclaration d’impôt, à leurs droits de santé. La durée de l’hébergement est variable. Nous
    essayons également d’évaluer les difficultés de la personne pour l’orienter vers des
    professionnels compétents. Le travail en réseau est indispensable.
    Il est signalé que dans le passé, certains professionnels menaient des interventions collectives
    sur des situations sociales communes et qu’ils offraient une information adaptée à chacune.
    Cela permettait de travailler sur l’anticipation des problématiques et d’ainsi communiquer une
    information caractérisée, circonstanciée, propre à leur situation. Ce fonctionnement a été
    abandonné aujourd’hui, au profit d’un certain bricolage ! On a perdu en qualité et en visibilité.
    Les axes et les freins du travail en commun
    Pour les professionnels réunis, le premier axe de travail commun est l’accès et l’ouverture des
    droits avec d’autres éventuels objectifs intermédiaires et en finalité l’autonomie de la personne.
    Les différents acteurs disent ne pas constater entre eux de contradiction sur ce point, certains
    services pratiquent d’ailleurs une forme de diagnostic partagé. Les professionnels identifient
    des personnes nécessitant un accompagnement pluridisciplinaire. Des visites communes sont
    organisées qui permettent de présenter les différents intervenants et leur mission et de bien
    recueillir les attentes de l’usager. Au bout de deux ou trois entretiens, un diagnostic permet de
    déterminer les axes de travail de chacun.
    Par-delà cet objectif commun se pose rapidement la nature de la relation qui s’instaure avec
    l’usager. Parler d’aide à la personne implique de s’interroger sur la relation d’aide : « La
    relation d’aide est complexe et multiforme. » Elle soulève de multiples questions : par exemple
    celle des motivations individuelles indépendamment des demandes institutionnelles ou encore
    celle de la diversité des identités professionnelles autour d’un même bénéficiaire. Ce qui
    importe c’est que la personne construise elle-même des réponses à ses difficultés. Les
    agriculteurs subissent par exemple des contraintes diverses qu’ils ne maîtrisent plus, dans de
    telles conditions comment leur permettre d’être acteur ? Il s’agit de « construire de la
    connaissance commune avec lui en s’appuyant sur son expertise. » Si l’on veut maintenir la
    personne au cœur du dispositif, cela suppose d’identifier des axes de travail communs e
    partagés.
    Cette aspiration se décline différemment selon l’implication individuelle. Certaines personnes
    ont du mal à se projeter dans l’avenir, d’autres n’ont tout simplement pas envie de se prendre
    en charge, ils sont parfois installés dans une position d’assisté. Une certaine catégorie sociale a
    des difficultés à déclarer son travail pour pouvoir bénéficier de ses droits futurs à la retraite. Un
    travail d’accompagnement et une campagne d’information sont nécessaires pour faire valoir
    leur propre intérêt. Le futur n’a pas de sens pour eux, ils ne se projettent pas dans le temps. Le
    non-recours aux droits est également une préoccupation importante des services : « Nous avons
    encore aujourd’hui des difficultés à les capter, la rigidité de nos organisations, même avec une
    connaissance très précise de nos territoires. Il y a un flux qui nous permet de capter un certain
    nombre de personnes mais subsiste de leur part une absence d’adhésion pour diverses raisons
    (défaut d’instruction, défaut de matériel, etc…). Le sens de notre travail est d’essayer de trouver
    des passerelles qui nous permettent d’obtenir la satisfaction des droits des uns et des autres. Un
    effort collectif est nécessaire pour raccrocher ces personnes. »
    Si les professionnels partagent les mêmes finalités, ce sont bien les arcanes administratifs
    conditionnant le versement des prestations qui constituent les entraves à une meilleure fluidité
    des services : « Comment rendre les personnes autonomes au niveau des institutions alors qu’au
    niveau des institutions c’est compliqué d’avoir les réponses ou les versements de ses
    prestations ? ». L’accès à certain service est parfois difficile et le professionnel devient un
    intermédiaire à son insu. Plusieurs participants constatent la lenteur du traitement de l’accès
    aux droits et le suivi de la prise en charge : « La gestion des dossiers est parfois contradictoire
    avec nos pratiques. » Dans certaines institutions, les dossiers (la pension d’invalidité, l’AAH,
    le soutien familial) ne sont pas traités sur place, ils sont gérés dans des services dispatchés dans
    toute la France. Ce qui complique les démarches d’abord pour les professionnels. Certains
    services disposent de logiciels qui anticipent le risque de rupture et évitent des pertes de revenu,
    mais ils n’empêchent pas de constantes ruptures de droits. Autre exemple : avant de transférer
    des dossiers entre institutions, un agent est censé vérifier tous les droits. Cela rajoute un temps
    supplémentaire au moment du transfert. Cela peut rajouter un temps de 3 semaines et cela peut
    monter jusqu’à 4 mois. Dernier exemple : certains services révisent les droits par exemple pour
    la pension de réversion. Au bout de 20 jours, le dossier est clôturé et en l’absence de réponse,
    le droit est suspendu, donc les versements. Alors qu’il suffit juste d’une réponse pour maintenir
    le droit même sans fournir les documents demandés. Enfin il est constaté que les courriers
    administratifs sont souvent difficiles à comprendre même pour les professionnels. Avoir un
    interlocuteur de référence dans les démarches est un facilitateur, il permet de gagner du temps,
    il évite par exemple de réexpliquer la situation à chaque appel : « Les systèmes mis en place
    sont trop complexes pour les personnes et là il faudrait sérieusement réfléchir à les réadapter. »
    Les services ont bien le même objectif : une reconnaissance de la personne en situation précaire
    et la nécessité de lui apporter les réponses appropriées dans les meilleurs délais possible. Pour
    répondre correctement à cette mission sociale fondamentale, il est important de connaître le
    travail des partenaires mais il est tout aussi important d’en connaître les contraintes et les
    lourdeurs administratives. Une analyse des dysfonctionnements permet de mieux connaître les
    outils des partenaires et de gagner en fluidité dans les réponses.

TROISIEME SEANCE
L’usager acteur. De l’usager à l’usageant.
La réunion s’engage sur une introduction qui annonce les thèmes qui seront abordés : « C’est
toute la difficulté de nos interventions. Dans notre service nous travaillons avec beaucoup
d’experts sur la situation (conseiller de gestion, conseiller agricole, conseiller juridique). Ils
sont tous dans une posture d’expertise. Les exploitants doivent rester maîtres de la situation et
des orientations qu’ils vont prendre. Il leur est très difficile de s’autoriser cette place d’acteur
et de décideurs. C’est difficile de faire entendre leur voix devant ce réseau d’expertise. C’est
notre rôle de favoriser cette expression. Nous pouvons leur prodiguer des conseils, des pistes
de réflexion et faire en sorte que la décision leur appartienne. Nous essayons de différer la prise
de décision pour leur donner le temps de digérer les informations, pour que les décisions soient
prises dans un cadre qui est le leur. Nous nous rendons compte depuis plusieurs années avec le
recul que ceux qui redressent la situation sont ceux qui ont hybridé les conseils, qui les ont
adaptés à leurs modes de fonctionnements. Les bons élèves ou les résistants aux conseils ont vu
leurs difficultés perdurer. D’une personne à une autre, la stratégie est extrêmement différente.
On rencontre des difficultés avec les experts lorsque leurs conseils ne sont pas entendus. » On
y repère la question de la demande, le temps de l’intégration des informations, le temps de la
décision, le poids de l’expert.

  • L’usager et le service social
    C’est à l’analyse de ce postulat : faire de l’usager un acteur, que le groupe se livre. Le premier
    contact avec les services témoigne du mode de relation qui peut s’établir en particulier par
    téléphone. Depuis la retenue, le besoin d’être écouté, la crainte d’être jugé jusqu’aux insultes
    en passant par la menace de s’immoler devant la porte du service parce qu’elle n’avait pas perçu
    ses droits ! Ce public en situation de précarité a vécu beaucoup de ruptures, rétablir la confiance
    est très difficile : « Quand ils se rendent compte que leur demande est comprise et entendue, les
    tensions baissent. »
    Certains services interviennent dans l’urgence, il leur faut déjà rassurer la personne notamment
    dans le cadre de femmes victimes de violence. Beaucoup de travailleurs sociaux lancent l’alerte
    et demandent d’agir dans l’urgence. Or toute situation d’urgence nécessite une évaluation.
    Chaque situation est un apprentissage. Le simple fait de poser les choses dédramatise la
    situation. Et puis le partage des informations (médicales et sociales) est capital, il permet de
    dégager des pistes de travail. Dans cet autre service, on sollicite des commissions enfance sur
    des difficultés en dehors de la demande de la famille. La personne peut donner son accord sans
    comprendre le sens de l’intervention, sans qu’un objectif n’ait été fixé. Quel est en fait l’objectif
    de la personne ? Elle n’a pas les informations pour être actrice. Elle ne connaît ni le service ni
    ses missions. Elle peut sans doute identifier les problèmes mais pas les objectifs : « Une partie
    de l’activité de détection est portée par des algorithmes, des machines. C’est cloisonné. Le
    cloisonnement induit l’expertise et entraîne les situations de rupture. L’évaluation est peut-être
    ce qui réconcilierait nos institutions et l’usager. »
    Dans l’accompagnement individuel, lorsqu’on a réglé les urgences, débloqué les aides, il est
    essentiel de comprendre le fonctionnement de la personne, ce qui fait sens pour elle, c’est la
    condition pour trouver le levier sur lequel on peut agir, comment la mobiliser. C’est aussi
    important pour le professionnel que pour l’usager. Pour permettre à l’usager d’être acteur,
    l’institution doit disposer d’un minimum de connaissances de la personne. Un service intervient
    sur le volet insertion : « La difficulté de notre rôle d’expert est aussi en fonction de la demande
    des personnes, de dégager un axe de travail. Nous travaillons avec des personnes qui n’ont pas
    la même culture, ni la même éducation, ni les mêmes connaissances. Il faut prendre du temps
    pour se mettre à son niveau. J’écoute son histoire, son fonctionnement et j’essaie de dégager
    des pistes de réflexion et d’orientation. La personne n’est pas toujours prête. » Les
    professionnels déplorent en général de ne pas avoir le temps à accorder à l’usager afin de lui
    permettre « d’accueillir du savoir, de l’assimiler, de l’amalgamer à son histoire de vie. »
    Lorsqu’il est possible ce préalable peut être parfois très long et par manque de temps et de
    moyens, « Nous faisons du saupoudrage sans leur tirer la tête hors de l’eau. » Les usagers
    s’habituent à cette situation de précarité et il devient difficile de les faire avancer. Certains
    s’accommodent de minimum social sans rien demander de plus.
  • Usager-acteur ?
    Le vœu de permettre à l’usager de se prendre en main se heurte à plusieurs obstacles, la
    personne peut être intimidée, complexée, mal à l’aise et ne pas oser demander si elle ne
    comprend pas. Certains sont naturellement passifs qui ne demandent rien, ceux qui voudraient
    qu’on choisisse à leur place. Et puis il y a ceux qui refusent toute aide. Dans le milieu agricole,
    l’identité de l’entrepreneur est forte, on constate une résistance aux droits par crainte de l’image
    d’assisté. Il y a un défaut général d’informations, de conseils. Certains travailleurs sociaux sont
    parfois en relation avec des experts qui ont une approche différente : « Une posture d’expert
    qui mutile ce que l’usager vient chercher. Il vient chercher de la compassion, un peu, mais du
    savoir pour être acteur, de la maîtrise de sa trajectoire. C’est compliqué car l’expert attend bien
    souvent que son conseil soit suivi comme une sorte de prescription médicale. » Une pratique à
    l’opposé de celle qui demande un partage de connaissances qui s’intégrera à l’histoire
    personnelle, qui demande une forme de digestion, d’assimilation d’un savoir au service de sa
    trajectoire et de ses décisions personnelles.
    L’exemple du RSA est significatif de certaines contradictions du système. Le RSA est un
    dispositif qui impose, l’usager n’est absolument pas acteur : « Notre mission est de le rendre
    acteur, mais dans les faits il reçoit une convocation et en cas d’absence à deux entretiens, il a
    une sanction du RSA. Nous formalisons des objectifs avec la personne. Il y a des rencontres
    pour le diagnostic et pour l’insertion professionnelle. Il y a des obligations qui ne sont pas
    comprises par tous, certains n’ont d’ailleurs jamais eu d’obligation. Nous rencontrons beaucoup
    de passivité. » En conséquence de quoi, vécus comme des contrôleurs sociaux, les
    professionnels peinent à repositionner l’usager comme acteur : « C’est le problème de
    l’injonction contradictoire. On nous demande de faire de l’usager un acteur. Nous avons des
    objectifs de nos employeurs ou de nos institutions qui nous poussent à mettre les gens dans les
    cases. » ou encore : « Quand on met des sanctions pour obliger les personnes à venir dans des
    dispositifs d’insertion, ça ne facilite pas l’adhésion. Il faut que soit un choix. » Le RSA est un
    dispositif très inconfortable pour les professionnels.
    Le législateur n’aide pas. Les réformes se succèdent ne permettant pas la compréhension : « Les
    réformes et les modifications de la législation incessantes rendent plus opaque le droit
    d’accès. » Les législations sont tellement complexes que l’usager n’a pas d’autre choix que de
    faire confiance aux professionnels. Il ne peut pas prendre de décisions en conscience. Les
    réalités institutionnelles sont également des freins à la responsabilisation de l’usager. Dans
    certains services, il ne suffit pas de vouloir répondre à la demande de la personne, il faut
    également prendre en compte les sollicitations des organismes de formation ou autres
    structures. En effet si ces ateliers ne sont pas remplis, ils risquent de disparaître. Les associations
    vivent de subventions, elles sont contraintes de tenir des impératifs. Dans le but de stimuler
    l’estime de soi par un engagement, certains services mobilisent l’usager moyennant des
    contreparties : des bons repas en échange d’investissement dans des associations. Les médias
    concourent à la confusion par une communication simplifiée. Des informations générales sont
    diffusées à grande échelle qui ne prennent pas en compte les particularités qui permettent de
    bénéficier des droits. Ces informations compliquent le travail des professionnels et peuvent
    même entrainer des pertes de confiance. La complexité du système est telle qu’elle conduit à
    poser la question : « Est-ce qu’il n’y a pas un intérêt pour les institutions de garder l’usageant
    usager ? »
  • Prévention, information
    « Nous essayons d’aller chercher les allocataires qui ne viennent pas. » Bien évidemment
    lorsque l’usager vient de sa propre initiative, il est acteur, puisque c’est lui qui vient chercher
    une ressource. Une des préoccupations des services est d’aider à franchir ce pas : « J’ai le cas
    en ce moment d’un monsieur qui ne demande jamais rien. Il parle très peu et fait des demandes
    très primaires. Il en faut du temps pour l’usager mais aussi pour le professionnel. Il se rapproche
    petit à petit de notre service. Nous avons respecté sa temporalité. La prévention est essentielle
    justement pour ne pas laisser les personnes en situation de vulnérabilité. » Dans cet esprit, des
    groupes de paroles ouverts aux aidants familiaux qui favorisent la compréhension : « L’intérêt
    de ces groupes est que les usagers puissent se nourrir les uns et des autres (venir chercher du
    savoir). L’expertise du professionnel est garante du groupe. Cette forme de tutorat dépasse les
    capacités du professionnel. Il y a une proximité d’état qui fait que cela soit plus accepté. »

QUATRIEME SEANCE
Se connaître, se reconnaître, être reconnu.
La nécessité d’avoir une bonne connaissance des services et des professionnels est une évidence
pour tous les participants. Cette compétence permet d’abord d’orienter la personne vers le bon
interlocuteur. Elle se prolonge par la façon dont doit se concevoir le service social à l’usager.
Plus que de répondre à une simple demande, c’est la globalité de la situation qu’il s’agit de
traiter : « Gérer une urgence est essentiel mais il faut se dégager du temps pour un
accompagnement abouti. Connaître les missions de chacun permet de ne pas traiter seulement
l’urgence ou une seule demande et de les diriger vers le service adéquat. » Les professionnels
savent bien qu’ils ont des missions complètement différentes et qu’il est indispensable de bien
connaître les contraintes de chacun pour apporter une réponse adaptée.

  • Comment se pratique le partenariat ?
    Pour les professionnels présents, le partenariat se vit différemment selon la nature du service et
    la position de chacun dans la structure. Certains responsables ont un temps dédié aux rencontres
    avec des partenaires. Un rôle qui consiste à aller chercher des informations pour aider les
    collègues. Mais le plus souvent les professionnels ne disposent pas de temps pour tisser et
    entretenir un réseau relationnel, ce sont les situations qui conduisent à prendre contacts avec
    des partenaires spécifiques. Certains services peuvent ainsi avoir des liens réguliers avec des
    interlocuteurs habituels mais bien d’autres sont inconnus, d’autant que des tiers lieux se
    développent dans le département. Il y a quelques années, dans certaines institutions des réunions
    consacrées aux partenaires étaient organisées, elles n’ont plus lieu par manque de temps malgré
    la demande des personnels : « Aujourd’hui les rencontres se font principalement lors des
    commissions (logement, enfance etc…). » En général s’il n’existe pas de rencontres planifiées
    entre services, certaines réunions internes sont ouvertes à des intervenants extérieurs. Des
    directives gouvernementales projettent régulièrement des actions à mettre en place rapidement,
    les acteurs se mobilisent, mais ces initiatives restent sans suite. En 2019, un travail avait été
    amorcé sur l’accueil inconditionnel par le Conseil départemental avec le plan pauvreté. Un
    groupe de parole avait été projeté mais il n’a pas eu de suite : « On ne se donne pas le temps de
    maintenir le dynamisme de ces rencontres. C’est pourtant nécessaire. » Sur ce registre de la
    difficulté à établir des liens continus, citons cette remarque locale : « Nous avons quand même
    un petit avantage en Creuse. Nous nous connaissons beaucoup. J’ai changé de service et les
    contacts perdurent. Nous nous rendons service mutuellement. »
    Freins et obstacles au travail en partenariat.
    On ne compte pas les tentatives d’améliorer les échanges voire d’organiser des rencontres :
    « L’année dernière, nous avions essayé d’organiser des réunions avec des associations (Resto
    du cœur, Secours populaire par exemple) pour les informer sur ce que nous faisions pour essayer
    de capter le public qui ne venait pas vers nous. Pour trouver le bon interlocuteur, organiser,
    c’est chronophage, voire cela n’aboutit pas. » Le temps évidemment. Si chacun reconnaît le
    gain de temps à bien connaitre ses interlocuteurs, tous en déplorent le déficit : « Il faut peutêtre accepter de perdre du temps pour en gagner finalement. » Ce vœu est contrarié par
    l’exigence de répondre à l’assuré dans l’urgence et par la charge des plannings. Il est attendu
    de l’efficacité de la rapidité alors que les pratiques sociales nécessitent du temps. Les
    participants disent la difficulté de mobiliser plusieurs partenaires en même temps, la preuve en
    a été donnée pour réunir les personnes du présent groupe.
    D’autres obstacles sont identifiés tel le turn-over important des personnels. Les petites
    structures souffrent moins de ce problème, les équipes sont plus stables et le nombre restreint
    des acteurs invalide moins la cohérence de l’action. La mobilité des personnels se fait davantage
    sentir dans les grandes institutions : « C’est une plus-value énorme de connaître
    personnellement les contacts. Nous sommes confrontés à un turn-over du personnel aussi bien
    en interne qu’en externe. C’est un travail régulier. Dès que la personne part, on perd le contact.
    Nos missions dans nos services peuvent être inconnues des nouveaux professionnels dans notre
    propre structure. C’est un vrai travail pour essayer de maintenir les liens. » Et puis : « Nous
    rencontrons des difficultés en interne à réellement se connaître et être fidèle aux messages
    proposés par notre institution. Les demandes des personnes sont très diverses qui font que la
    question de se connaître est essentielle. Cela demande une démarche dynamique d’entretien de
    relations. Cette démarche est chronophage. Ce temps, l’employeur ne nous le donne pas
    souvent. Et quand nous voulons rencontrer les partenaires avec lesquels nous interagissons
    souvent, nous obtenons assez rarement d’aller à leur rencontre. »
    A cela s’ajoutent les restructurations, lorsque les missions doivent changer en fonction des
    affectations. La réglementation est aussi très mouvante, les offres proposées peuvent changer
    d’une année sur l’autre : « Pour moi, la difficulté la plus importante n’est pas la connaissance
    des droits mais plutôt les aides extra-légales. Les aides financières sont possibles sous
    conditions. Nous sommes soumis à une convention d’objectifs pluriannuels mais le règlement
    intérieur peut être amené à être changé plusieurs fois (tous les ans) mais c’est également le cas
    pour les autres partenaires. Les barèmes peuvent changer. Ces données sont difficiles à trouver.
    C’est opaque d’où l’importance d’avoir un interlocuteur physique pour trouver des solutions
    possibles. » Les conséquences de la numérisation a déjà été évoquée dans les séances
    précédentes, ainsi que celles concernant la crise sanitaire : « Depuis deux ans, il faut avouer que
    c’est difficile de nous rencontrer. Personne n’ose prendre d’initiative pour travailler réellement.
    Nous ne pouvons plus prendre d’initiative, ça bloque de partout. Nous sommes dans un
    environnement inhibiteur. Nous répondons à minima. »
  • Comment améliorer les relations entre partenaires.
    Tous les services cherchent des réponses pour favoriser la continuité du travail social, éviter les
    ruptures et réduire les délais trop longs. Des remèdes d’ordre technique sont apportés. Il est
    évoqué la création d’un portail internet dédié aux professionnels qui présenterait toutes les
    offres disponibles. Il existe déjà des réponses partielles en ce sens. Au Conseil départemental,
    un document répertorie toutes les UTAS, les numéros de secrétariat, et l’ensemble des
    professionnels. A la mission locale, il n’est pas indispensable de connaître les dispositifs, un
    organigramme suffit pour avoir le contact adapté et dans le cas de départ de la personne (pôle
    emploi, la CPAM, Conseil départemental), le service a d’office le nom de la personne qui arrive
    sur le poste. Les contacts sont maintenus. Le Conseil départemental a un autre portail réservé
    aux professionnels porté par la DIL (Direction Insertion Logement). Sur ce portail, on retrouve
    des règlements intérieurs, les formulaires de demandes d’aide financière, les informations
    relatives aux partenariats. Il est plus ou moins à jour. A la CARSAT en Haute Vienne, un
    professionnel constitue lui-même un fichier : « Ce n’est pas toujours simple. J’ai beaucoup de
    démarchage justement pour le partenariat. Nous essayons d’informer les jeunes au plut tôt sur
    les missions de la CARSAT. Je suis souvent assimilée à un démarchage commercial. C’est
    compliqué d’avoir le bon interlocuteur. »
    Ces facilitateurs d’accès aux réseaux et aux informations ne résolvent pas les problèmes
    humains : « Nous étions sur de la production c’est-à-dire la liquidation des dossiers et nous
    sommes en train de faire machine arrière pour proposer des rendez-vous pour étudier les droits
    avec les possibilités qui s’offrent pour les droits à la retraite par exemple. Tisser le lien avec la
    personne nécessite du temps. » Les professionnels sont confrontés à la difficulté de trouver des
    solutions auprès de certains publics qui ne veulent pas demander d’aide alors que c’est un droit.
    Certaines personnes craignent « d’être cataloguées », elles manifestent une résistance à faire
    valoir leurs droits même au sein de la sphère familiale. Et puis il faut que la personne soit
    encline à exposer sa situation dans sa globalité. Ce n’est pas toujours le cas : « J’imagine la
    personne qui a un premier contact avec un travailleur social, la violence que cela peut être. Ce
    n’est pas simple de se livrer dès la première fois. Nous ne laissons pas le temps à la personne.
    Il faut faire du volume mais pas forcément la qualité. Il faudrait changer de modèle où on ne
    nous accusera pas de prendre du temps pour accompagner les personnes. Il faudrait s’insurger
    pour remettre de la qualité dans nos accompagnements car c’est nous qui subissons. Nous ne
    pouvons pas nous identifier à ce non-sens. » « La prestation minimum vieillesse est autour de
    900 euros. Certains vivent avec moins. C’est la même chose pour l’accès au soin. Il faudrait
    arrêter de dénigrer ces minimums sociaux. »
  • Conclusion
    Un tour de table permet de synthétiser les avis des professionnels réunis. Ils expriment le vœu
    de redonner du sens aux prestations versées et de les présenter comme une protection. C’est
    une sécurité sociale. La vertu de la mission de solidarité n’est pas reconnue à sa juste valeur :
    « On les nomme charges alors que ce sont des cotisations pour se protéger. Le terme choisi pour
    désigner ses droits est important. Il faut fournir un effort pour une désignation noble. Le
    gouvernement a son rôle à jouer aussi pour faire changer les mentalités. » Des préjugés sont
    véhiculés par les médias qui nuisent à une meilleure perception du sens des aides. Pour prendre
    conscience du non-recours à ses droits, il faut former des citoyens suffisamment éveillés pour
    qu’ils prennent intérêt à participer au débat.
    La pluridisciplinarité est au cœur de notre pratique où nous tentons de faire connaître les droits
    de chacun pour éviter que l’assuré ne soit pas balloté entre les différentes structures, voire au
    sein même d’une structure : « Se connaître, il y a moi le travailleur social et l’institution qui
    m’embauche. Dans « se connaître » il y a les partenaires assignés (on ne peut pas faire sans
    eux) et il y a ceux vers lesquels il faut aller à l’extérieur. C’est une dynamique qu’il faut
    construire. Elle invite une réflexion et à une réflexivité. C’est un travail de longue haleine,
    jamais achevé. » Si on n’accepte pas le fait que le partenariat est sans arrêt en construction, on
    s’épuise. Il faut accepter cette dynamique d’être sans arrêt dans la rencontre.
    La parole d’une stagiaire : « Se connaître, se reconnaître et être reconnu reposeraient sur la mise
    en place d’un dispositif où serait regroupées toutes les missions, les actions et informations sur
    les différents travailleurs sociaux du territoire. Cela permettrait de gagner du temps pour les
    usagers en termes de solutions d’aide. Ce type de dispositif peut être remis en cause par le turnover dans les différentes structures, par les restrictions de temps liées au budget alloué. »

CINQUIEME SEANCE
Comment travailler ensemble ?
* Comment se pratique le travail collectif dans les structures.
Le thème se traduit par une présentation des modalités de travail collectif dans chaque structure.
Certains services ont un dispositif officiel. A la MSA, une circulaire ministérielle est à l’origine
d’un dispositif partenarial départemental dont le but est la prévention. Il doit permettre
d’intervenir auprès d’agriculteurs dont la situation se dégrade. C’est ainsi que des représentants
des services concernés gravitant autour de l’agriculteur se réunissent une fois par mois pour
partager leur vision de la situation dans une perspective d’expertise et d’accompagnement. Il
n’est pas simple de travailler dans la cohérence car les interlocuteurs ont des perceptions très
différentes et il est nécessaire d’avoir un langage accessible à tous. La méthode consiste à
construire un diagnostic partagé avec la personne accompagnée. Le partage de notre avis
d’expert avec l’exploitant demande un vrai travail. Dans chaque situation, il faut effectuer un
travail d’adaptation surtout avec les professionnels. Il faut s’assurer constamment que tout le
monde a bien compris. Le service construit actuellement un outil informatique commun
rassemblant les informations utiles à l’agriculteur. Des écrits sont remis aux exploitants, des
réunions trimestrielles permettent des échanges sur le compte rendu avec le vœu de les rendre
acteurs de la démarche. Un référent est attaché à la personne.
D’autres services ont des commissions qui réunissent certains de leurs partenaires obligés. La
Mission Locale a une commission mensuelle avec Pôle Emploi, pour faire le point sur les
dossiers communs et éviter un double accompagnement. Le service participe à une réunion
mensuelle au Conseil Départemental où sont étudiées certaines situations. D’autres
commissions existent (SPIP, PJ etc). Ponctuellement des rencontres ont lieu avec des services
judiciaires, centres de formations (AFPA), ainsi que des contacts avec la CPAM, la CAF et Pôle
Emploi. Le service de la CAF participe également à de nombreuses commissions et instances
partenariales, en particulier avec le Conseil départemental (aides financières). Le travail de
diagnostic a été fait en amont par les services sociaux. Des thèmes spécifiques motivent des
réunions appropriées, tel le logement (CD, DDT). C’est également le cas à l’UTAS, parfois
pour des suivis spécifiques (notamment enfance en danger), le service en appelle aux personnes
qui connaissent le mieux la situation. C’est la demande qui fait la commission mais pas la
situation de la personne dans sa globalité. Il n’y a pas d’instance de coordination. Au
département, les rencontres avec la CAF sont rares, mais c’est vraiment une plus-value dans la
prise en charge. A noter que le partenariat se fait souvent entre chefs de services. Il existe des
outils communs et puis les relations se font souvent de façon informelle, ce qui est facilité par
la taille du département. Ainsi existe-t-il de nombreuses commissions, des échanges considérés
constructifs mais soumis aux règles et délais de chaque administration. Le fait d’avoir des
commissions régulières permet d’entretenir le lien avec les partenaires.
Les échanges avec les partenaires sont souvent ponctuels. La CARSAT a des conventions avec
la CAF et la CPAM qui permettent surtout de faire le lien quand il y a une fin de droit. Il y a
des signalements automatiques qui évitent les ruptures de droit. Il est prévu à terme des
simplifications afin de récupérer les informations sans avoir à demander aux usagers de nous
fournir les documents. Il y a des échanges de fichiers entre organismes dans le respect du droit.
Le service entretient des échanges avec Pôle Emploi, les caisses complémentaires, des forums
organisés régulièrement sur l’ensemble des sept départements. Il y a également des
développements partenariaux avec certaines entreprises afin d’informer sur leur statut ainsi que
pour les salariés. Le service assure aussi un accompagnement dans le cas de dépôt de bilan ou
de plan social. La CARSAT s’appuie beaucoup sur les acteurs qui sont au plus près des assurés.
Chaque mois des thématiques sont proposées pour aborder la législation juridique des services
en ligne. Une newsletter est régulièrement envoyée.
Le Centre de jour travaille constamment avec les services présents dans ce groupe. Les
échanges se font par téléphone, par mail. Il n’y a pas d’instances en commun. Il existe une
commission SIAO une fois par semaine qui concerne surtout les structures de logement. Le
service fait un diagnostic de situation avec demande spécifique mais il ne participe pas à la
réunion, ni à la décision, ce qui est parfois dommageable. En ce qui concerne ces réunions
hebdomadaires, le contact avec le Conseil départemental se fait avec la responsable concernée
qui assure le relais. Il manque cependant les représentants de la CAF et de la CPAM pour
entendre les difficultés de la personne. Cela éviterait quelques problèmes. Il ne faut pas oublier
que notre service est confronté à des urgences, même s’il est vrai que le sens de l’urgence est
variable. L’UDAF comprend des services différents aux fonctionnements spécifiques. Par
exemple, pour l’accompagnement social au logement le service a des liens privilégiés avec les
assistants sociaux de secteurs dans des commissions. Les échanges peuvent sortir du thème et
abordent la prise en charge globale de la personne. « Nous sommes amenés parfois à demander
des synthèses avec tous les partenaires sur des situations extrêmement problématiques pour
arriver à avoir une vision globale. »

  • Problèmes récurrents et perspectives
    Les réponses apportées au travail collectif sont donc variables selon la mission du service, la
    prise en compte de ce cadre, l’interdépendance et la complémentarité entre certains services, la
    position hiérarchique… Le travail ensemble rencontre évidemment le problème de l’accès
    difficile aux plateformes, il souligne l’importance de la rencontre physique et la prise en compte
    de l’accompagnement des personnes sans mobilité. Les professionnels n’ont pas accès à
    certains renseignements quand il n’y a pas de mandat de tutelle ce qui entraîne un blocage. Les
    professionnels sont souvent sollicités pour faire des démarches par des usagers qui n’ont pas
    accès à internet, ainsi sont-ils amenés à faire l’intermédiaire même si ça ne relève pas de leur
    mission. N’ayant pas de ligne directe, ils se trouvent confrontés aux longues attentes
    téléphoniques des plateformes. Un interlocuteur dédié pour les renseignements techniques
    éviterait de perdre du temps. Une adresse électronique à la CPAM est très efficace mais elle
    nécessite du personnel pour que le service ne soit pas saturé. Le travail en partenariat soulève
    également la question du secret professionnel ou secret partagé qui permet d’échanger des
    informations. A la MSA l’ensemble des membres de la cellule technique a signé une charte de
    confidentialité en préfecture.
    Des outils sophistiqués ont été créés qui excluent une partie de la population, les contacts directs
    sont de plus en plus difficiles. Les publics les plus fragiles pour lesquels les aides sont
    indispensables sont les premiers impactés. Leur isolement s’accroît au plan physique et mental.
    Il est de plus en plus vital de faire du lien. La difficulté des usagers à obtenir des réponses à
    leurs demandes les conduit à recourir à n’importe quel service qui se trouve de ce fait submergé
    par des motifs qui ne concernent pas sa mission.
  • Conclusion
    Les participants confirment à nouveau l’importance du travail en réseau, sa richesse et sa
    pertinence. L’usager n’est pas confronté à une seule structure mais à plusieurs. Dans un petit
    département où les relations sont facilitées, les professionnels parviennent à réaliser un travail
    partenarial assez satisfaisant. Les urgences peuvent se résoudre facilement. Il est cependant
    déploré le recours de plus en plus fréquent au numérique et la rigidité des fonctionnements
    institutionnels.
    Le mot de la fin revient à d’une participante : « Je suis convaincue du travail en réseau, de sa
    pertinence. On apprend des uns et des autres. Ne faudrait-il pas définir une carte partenariale à
    réactualiser tous les ans :
  1. Avec combien de partenaires travailles-tu ?
  2. Formel ou informel ?
  3. Que construisez-vous ensemble autour de la personne ?
    Continuer ainsi à faire ce pas de côté dans l’intérêt de l’usager et celui du professionnel ».

SIXIEME SEANCE
Ethique et réflexivité
* Une condition indispensable à la qualité du travail social
La sixième séance a pour but d’interroger les équipes sur les moyens d’autoréflexion dont ils
disposent afin de prendre du recul dans les situations délicates que ce soit avec les usagers ou
avec leurs collègues ou leurs partenaires. Les temps de réflexion, d’échanges entre collègues
ou avec la hiérarchie sont unanimement reconnus comme indispensables à la qualité du travail
social, pour certains il en est la condition. Lorsque le travailleur social est isolé dans sa pratique,
il est fragilisé dans sa mission, il ne sait pas jusqu’où il peut aller dans son accompagnement :
« Où s’arrêtent nos missions professionnelles ? Est-ce dans nos missions de les accompagner à
des rendez-vous médicaux ? etc » Une cohérence de l’action entre partenaires est indispensable.
Les missions sont tellement vastes, il est nécessaire de définir ce que l’on peut faire ou pas et
d’avoir une réponse coordonnée à un problème social : « J’ai fait beaucoup de visites
communes avec mes collègues. Je constate bien que mes collègues ont des accompagnements
différents. C’est une richesse pour leur service. Comment on le partage ? Comment enrichir
notre savoir commun ? »
« Le travail social requiert la conscience de notre incomplétude que ce soit au niveau individuel
ou institutionnel, une nécessité d’avoir fait le point sur nos propres vulnérabilités, sur nos
propres manques qui vont nous obliger à aller chercher l’expertise de l’autre. » Sur le plan
institutionnel, sur la base des conventions, les professionnels trouvent chez les partenaires une
richesse qui leur manque. Il en est de même sur le plan personnel, chacun doit faire le point sur
ce qu’il maîtrise ou ne maitrise pas pour aller le chercher chez des collègues ou des partenaires
extérieurs : « Ces deux notions font de nous des métiers de l’humain, du dialogue et de la
coopération. » L’absence de cette dimension interactive est dommageable en termes de qualité
relationnelle et sujette à générer des conflits.

*Une régression des pratiques réflexives
Pourtant il est globalement déploré une diminution de ces pratiques au regard de ce qui existait
il y a quelques années. Dans certaines équipes, il n’en existe d’ailleurs plus. Les conditions
actuelles de travail limitent toute réflexion éthique. Les réunions d’équipe ne font plus de place
au travail d’analyse, de réflexion, ce sont de plus en plus des temps consacrés à la transmission
d’informations ou à l’organisationnel. Et puis le quotidien est absorbé par l’action voire
l’urgence, qui ne permettent pas de se poser : « Nous bricolons entre collègues entre deux portes
quand nous avons des disponibilités communes. » Ou bien c’est le soir, tout seul, que le
professionnel repense aux moments délicats vécus dans la journée : « Nous nous questionnons
seuls sur le déroulé de notre entretien, sur nos paroles et nos actes. Il est difficile de mettre de
la distance. C’est une charge mentale supplémentaire. Un lieu adapté et un temps défini
permettrait de se décharger en dehors de notre domicile. Le fait de pouvoir échanger permet de
dédramatiser. » En l’absence de réunions planifiées des formules sont proposées aux
professionnels : « Dans notre institution, nous n’avons plus de temps d’analyse de pratique.
Cependant, nous pouvons nous inscrire sur une liste et quand il y a suffisamment de personnes
intéressées par la question, l’employeur nous offre ce temps dédié à l’analyse de pratique. »

Lorsque le référent du service est formé au travail social, il peut aider à prendre du recul, mais
ça n’est pas toujours le cas, lorsque le vecteur de réflexion n’est pas le même, on a l’impression
de ne pas avoir été entendu : « De plus en plus de ces cadres n’ont pas de formation de
travailleur social. C’est donc plus difficile pour eux d’animer une réflexion de travail
d’équipes. »
Les conséquences au plan individuel et professionnel se font entendre : « Nous n’avons plus de
temps de supervision. Cela nourrit des frustrations qui engendrent la colère. La colère se
retourne souvent sur la personne qui la ressent. C’est bien dommage car parfois cette colère met
en exergue le dysfonctionnement institutionnel. » Certains professionnels en sont ainsi réduits
à s’inscrire dans des réseaux de réflexion extérieurs à leur institution, mais la situation devient
difficile pour les jeunes qui ne sont pas armés contre cette violence. Les anciens conservent une
certaine liberté pour dire ce qui n’est pas acceptable, mais les jeunes subissent la pression. Il
n’y a pas de temps pour leur expliquer le fonctionnement de l’établissement : « Il est essentiel
de remettre du sens à ce que l’on fait dans le quotidien et si possible aider à une réflexion pour
que nos institutions fassent de même. »
Les échanges conduisent à une analyse sociétale, les décideurs sont éloignés du terrain et le
travail social est traité comme une marchandise. Ce sont des logiques de moyennes et de
tendances qui orientent la politique et ne sont pas en mesure de répondre à des problématiques
locales. Cet état de faits ne fait pas l’économie d’une colère chez certains : « La notion de conflit
doit reprendre sens. Le conflit, ce n’est pas guerroyer, c’est de dire ses limites sinon je court à
ma propre perte. Reconnaître que si je vais au-delà de mes limites, je risque de faire mal (pour
moi-même et pour les personnes que je suis censé accompagner). Il faut pouvoir le dire. La
société dans laquelle nous sommes ne permet pas de dire : « Je n’y arrive pas ». Nous sommes
invités à la performance et nous continuons à tomber malade. Comment on peut le changer ? Je
ne sais pas. » D’autre part les tendances à l’harmonisation sont comme une standardisation qui
nuit à la créativité et l’adaptabilité des métiers du social. Cette critique sociétale est ponctuée
par cette question : « L’analyse de pratique fait un peu peur aux institutions car donne lieu à
des revendications. C’est peut-être pour cela que nous n’avons plus ce temps-là. »
Le gain de fluidité dans les institutions réflexives
En contraste aux carences observées par certains, d’autres témoignent d’une organisation qui
répond à cette attente, dans ce service qui comprend plusieurs équipes, des réunions sont
prévues par groupe et un lien est assuré entre les différentes équipes qu’il comprend : « il y a
des réunions au sein de chaque petit service et une fois par mois, il y a une réunion commune. ».
Un groupe mensuel d’analyse de pratique sans les cadres avec un intervenant extérieur est
proposé aux professionnels. En conséquence de quoi, les professionnels sont rarement seuls,
les échanges formels et informels sont fréquents et la communication est plus facile : « Deux
situations ont provoqué du stress parmi les référentes de ces situations. Nous avons pu
l’exprimer lors de l’analyse de pratique. Cela a permis aux personnes de souffler mais aussi de
trouver des solutions tous ensemble et en dehors parfois en réunion de synthèse professionnelle.
Quand on peut réunir le social et le médical, cela permet également de débloquer les problèmes
par magie. Les synthèses pluridisciplinaires sont essentielles avec présence de l’usager pour
accord de ce qui peut lui être proposé. » De tels exemples montrent qu’il faut s’extraire du
temps urgent : « C’est un acte de résistance face à l’injonction de production. »

Les voies d’élaboration collective
Le travail réflexif est évidemment un questionnement individuel de tous les jours : « Qui je suis,
pourquoi je suis là, quelles sont mes missions, quelles solutions à proposer ? Cela peut se faire
avec une certaine curiosité. » Mais il concerne surtout l’organisation du collectif, il se décline
de plusieurs façons :

  • Une attente d’analyse de pratique, de réflexion sur le travail de l’équipe et la mission de
    l’équipe. Les participants suggèrent que ce temps d’analyse pourrait se pratiquer en dehors
    du service dans lequel il travaille et ainsi « élargir notre champ de vision. »
  • Une attente de réunions de service pour faire remonter à la hiérarchie les difficultés
    rencontrées autant que de recevoir des instructions, des informations claires des directions :
    « Nous sommes censés être des observateurs pour faire remonter ce que nous observons
    pour faire évoluer les choses. Il nous faut des créneaux pour faire remonter nos observations
    pour éviter qu’elles ne soient bloquées pour ne rien en faire (ne plus être censuré). »
  • Un manque de réunion avec les partenaires afin d’avoir une meilleure connaissance des
    missions et des contraintes.
  • Conclusion
    A la fin de cette séance, les participants esquissent quelques premières remarques sur la
    démarche qu’ils ont vécue. Tout le monde s’accorde sur l’importance de la réflexion
    individuelle : « Est-ce que j’ai fait du mieux que je pouvais ? » Et sur la réflexion collective
    que le quotidien ne permet pas toujours par manque de moyens : « Ça permet de nous rappeler
    comment faire pour travailler au mieux en ne perdant pas de vu les objectifs. » Les séances ont
    permis le partage autour des questions essentielles : Qui sommes-nous ? En quoi sommes-nous
    une ressource pour les autres ? En quoi avons-nous besoin des autres ? Elles ont eu un effet
    stimulant : « C’était une expérience chouette, même si tout le monde veut la même chose, on
    n’a pas tous la chance de l’avoir. » « Cela nous amène à sortir de nos perspectives
    personnelles. A l’appréhension du retour à la dure réalité institutionnelle s’offre l’espoir de
    constater que certains services ont pu mettre en place des temps de réflexion : « Je suis très
    optimiste après avoir écouté nos échanges. Nous ne sommes pas autocentrés. Je suis rassurée
    de vous entendre. »

SEPTIEME SEANCE
Analyse critique de la démarche
Cette analyse repose sur des questionnaires individuels remis aux participants et les échanges
recueillis lors de cette ultime séance.
Les enseignements généraux
Dans ces témoignages s’exprime un manque de clarté dans la mise en place de la démarche,
autant dans sa finalité que dans la spécificité du processus proposé par le groupe de recherche
Pluriact. Ce manque de clarté a ses conséquences dans les attendus des participants et dans
l’analyse critique qu’ils font de la démarche.
Le sens de Pluriact et sa philosophie n’ont pas été clairement explicités aux participants. Afin
de préciser le quiproquo, il est utile de rappeler l’objet de Pluriact. Le but de la recherche est la
mise en œuvre d’une démarche transmissible par laquelle des acteurs disparates peuvent se
trouver en concordance : un atelier conçu comme un outil de formation collectif permanent
destiné à tous les professionnels. Cette démarche a été mise à l’épreuve et a permis de dessiner
un processus ouvert. L’action de Pluriact porte un questionnement éthique et réflexif qui
explique le style singulier mis en œuvre : une non directivité qui s’efforce de favoriser la
réflexion d’un groupe dans l’analyse de son fonctionnement et des solutions à apporter par luimême. Ce en quoi, l’animateur soutient les échanges, n’intervenant ni dans le contenu, ni dans
son orientation. Certains y ont remarqué la patte de la psychanalyse.
Le projet a ainsi pâti d’une double présentation, source de confusion, celle qui a transité de
l’administration aux chefs de services et celle des animateurs de Pluriact aux chefs de services,
restituées ensuite aux membres de leurs équipes invités à participer à la démarche. La première
présentation souvent nommée « commande » a induit l’attente d’une réflexion orientée sur
l’accueil social inconditionnel. Elle est restée inassouvie car le sens de la démarche Pluriact est
plus simplement celui de la rencontre dans la perspective d’un mieux travailler ensemble et de
susciter éventuellement chez les acteurs le désir d’initier un espace commun d’élaboration. Il a
clairement manqué une présentation directe de la démarche aux participants par les animateurs
eux-mêmes. Ce hiatus a évidemment entretenu chez certains une attente et un questionnement
sur le sens des échanges et la finalité de cette initiative.
Ce dommage étant posé, l’ensemble des séances est qualifié de riche, certains disent avoir
appris beaucoup de choses. La crainte de vivre une expérience abstraite s’est rapidement effacée
grâce au contenu des échanges tourné vers l’expérience professionnelle. C’est en premier lieu
le bienfait de sortir de sa structure, cette « bouffée d’oxygène » plusieurs fois exprimée. Les
professionnels disent être happés par le quotidien et ne pas avoir de temps de prendre du recul,
de temps d’analyse de leur pratique. Un manque de temps à « se libérer l’esprit » qui génère un
épuisement professionnel et un malaise général. Les séances ont favorisé un apaisement car
elles ont permis à chacun de connaître les difficultés de ses collègues et de faire le constat de
partager les mêmes difficultés, les mêmes colères. Pratiquement, si quelques-uns connaissent
relativement bien les acteurs de leur réseau, ce fut pour la plupart une découverte : découvrir
une structure ignorée ou son rôle mésestimé, découvrir les fonctionnements et contraintes des
autres services, mettre un visage sur une voix téléphonique, personnaliser une institution, ouvrir
un partenariat avec un service… un éventail qui peut se résumer par l’expression : remettre du
sens et du lien dans l’action, par le désir d’améliorer sa pratique et l’impératif de faire remonter
ces aspirations essentielles dans les institutions.

L’analyse de la démarche par les participants
En l’absence de présentation de la démarche et de son esprit le style n’a pas manqué de dérouter
et même de susciter un rejet chez certain. L’introduction de chaque séance, dont l’intention est
d’ouvrir un espace de réflexion, vécu comme un cours de philo a fait craindre un débat
intellectuel abstrait. Dès la première séance la tournure centrée sur l’expérience professionnelle

a rassuré. Le silence qui suit la présentation du thème a pu surprendre mais il est jugé nécessaire
pour poser la réflexion. Certains ont été gênés par le style de l’animation (cinq séances animées
par AD et une par PT) : « le fait d’être libre au niveau de la parole », ils auraient souhaité être
davantage guidés, voire questionnés afin d’approfondir quelques points et auraient même
attendu des commentaires. Une participante déplore le manque de reformulation, les blancs
dans les séances et dit sa préférence au style plus pédagogique du deuxième animateur. D’autres
trouvent que les échanges ont été bien soutenus, qu’il y avait une bonne répartition de la parole
entre les intervenants et le respect de chacun.
L’ensemble du groupe était favorable à participer à la démarche. Les motifs sont légion :

  • Le besoin de se rencontrer avec des pairs, de se connaître, de partager et de confronter les
    expériences respectives, de s’informer sur les problèmes rencontrés par les partenaires
  • Le besoin de s’ouvrir ensuite à d’autres analyses, d’enrichir sa pratique
  • La nécessité de prendre du recul, de remettre en perspective les interventions de chacun
  • La nécessité de faire un diagnostic sur les ressources disponibles sur le territoire, de trouver
    des biais qui permettent de s’affranchir parfois des procédures trop étanches entre les
    institutions
  • La nécessité de brosser un tableau de l’état des métiers du social, de constater combien les
    travailleurs sociaux sont impactés, influencés par les conditions économiques et sociétales
  • L’impératif enfin et surtout de créer des passerelles permettant in fine de gagner du temps.
    L’ensemble a apprécié de nouer ou renouer des liens (après covid) avec les autres professionnels
    et de partager une réflexion variée, riche et profonde.
    La pertinence des six axes est globalement confirmée mais assortie de commentaires nuancés.
    Le premier thème (l’état des lieux) est reconnu comme un préalable indispensable, temps de la
    rencontre, de la découverte des membres du groupe, le moment où chacun se pose. Le deuxième
    thème (l’objectif commun) n’est pas jugé très utile dans la mesure où tous les services présents
    partagent le même objectif. En revanche le troisième thème (l’usager acteur) est considéré
    comme le plus important par l’ensemble, une priorité. Le quatrième thème (reconnaissance
    mutuelle) est une évidence pour tous les acteurs. L’importance des thèmes cinq et six (échange,
    éthique et réflexivité) est largement reconnue. Identifiés comme une réflexion sur les outils qui
    permettraient plus de fluidité dans les échanges, il s’agit d’apprendre à s’écouter, à se
    comprendre, à prendre du recul, à réfléchir ensemble, « à construire un agir communicationnel
    cohérent ». Une participante souligne la nécessité d’avoir une « parole incarnée, une parole qui
    dit JE ». Les travailleurs sociaux sont conduits à prendre des décisions, à adopter des stratégies,
    ils ont des responsabilités humaines. Dans ce contexte, il n’y a pas une seule vérité mais des
    clefs d’interprétation. Chacun exprime à quel point le manque de réflexivité dans les structures
    est préjudiciable à la réponse. Comment co-construire de la connaissance pour être plus efficace
    et plus efficient ?
    La démarche a eu des effets variés selon les personnes et les services. Certains se connaissent
    déjà et la démarche n’a pas eu d’effets en ce sens. En revanche ce fut pour d’autres une occasion
    de mettre un visage sur un service voire de découvrir l’ensemble du champ social dans lequel
    ils interviennent, et d’ainsi, créer des liens avec certains partenaires. La prise de conscience des
    difficultés rencontrées par certains services a permis de faire tomber des tensions, de l’animosité
    liées à la méconnaissance. Connaître le cadre de travail d’un partenaire rend plus compréhensif
    et plus conciliant. Les échanges ont permis de faire reconnaître l’utilité et l’efficacité des
    services en ligne dans le traitement d’une demande ou d’un dossier et les solutions alternatives
    qu’ils offrent. L’importance donnée à l’attention de l’usager a également rafraîchi chez certains
    le questionnement de leur rapport à la personne et sur les moyens mis en œuvre dans ce sens.
    Enfin, l’effet le plus précieux est sans aucun doute d’avoir permis à certains de réaliser combien
    le travail en partenariat est indispensable, il est un gain dans l’accompagnement par la
    possibilité d’apporter des solutions communes, au-delà des capacités de chacun. A la question
    de la transmissibilité de la démarche la majorité répond positivement. « Parfois déconcertante »,
    précise une participante, elle permet une réflexion profonde sur les pratiques et une remise en
    question au bénéfice de l’assuré. Elle peut être pertinente pour des acteurs qui ne sont pas
    habitués à travailler ensemble. Elle peut être bénéfique aux étudiants afin de leur faire toucher
    le réel de leurs futures interventions auprès de la personne en difficulté. Sa transmission
    suppose, précise une professionnelle, de la diffuser et surtout de « la faire vivre ». Cette
    démarche n’est pas facile à décrire, c’est en la vivant qu’on en saisit le sens.
  • Le groupe poursuit sa réflexion
    Cette séance à visée réflexive n’a pas interrompue la réflexion qui progresse sur les réponses à
    apporter aux difficultés abordées et sources d’insécurité pour les travailleurs sociaux. Par-delà
    la nuisance du turn-over et le manque de personnel, c’est la question élémentaire de la formation
    d’un professionnel à sa mission et la cohérence du service à rendre. Les personnes qui arrivent
    n’ont qu’une connaissance universitaire, elles ne sont pas formées au terrain et il n’y a pas de
    temps pour les accueillir. Dans les métiers manuels c’est la pratique qui fait le professionnel et
    dans les métiers du social « c’est la prise de parole, l’accueil et la réponse ». Un professionnel
    se forme sur son site de travail, il n’arrive pas abouti pour son poste. Si certains services offrent
    de bonnes conditions d’accueil aux débutants, d’autres déplorent l’absence de tutorat pour les
    instruire, pour leur faire connaître la structure dans laquelle ils vont travailler et les initier aux
    tâches qui leur seront confiées. Le défaut de formation remet en cause la notion même
    d’accompagnement des personnes. Ce constat pose également la question de la cohérence à
    l’intérieur même d’une institution et à l’extérieur. Comment peut-on être l’ambassadeur d’une
    institution sans avoir une vision d’ensemble, sans savoir comment elle se définit ? Comment
    présenter nos besoins en tant que professionnel ? Comment savoir en quoi une institution peut
    être une ressource pour une autre institution ? Il existe bien des réunions de services mais elles
    se résument à des examens de textes. Elles sont indispensables, car si on ne maîtrise pas la
    législation on ne maitrise pas l’accès aux droits, mais elles n’abordent pas la question du vécu,
    de la relation. En l’absence de réflexion collective, les acteurs s’exposent au risque de faire plus
    de tort que d’apporter les remèdes adaptés. Il n’y a pas de coordination entre les services. Le
    travail social consiste pourtant à partager les diagnostics, à trianguler. Le champ social a des
    ressources, comment peut-on les mobiliser ?
    La question de l’accueil est au cœur de l’accompagnement de l’usager et elle donne lieu à un
    échange fécond. Il convient déjà de noter que les temps d’accueil sont de plus en plus restreints,
    les personnels reçoivent à présent sur rendez-vous. Les temps où les gens peuvent se présenter
    sans rendez-vous sont de plus en plus réduits. Les services ont de multiples types de demandes
    de secours. La personne arrive dans une structure qui ne peut pas tout régler. Avant toute
    réponse, il y a un temps préalable qui permet de faire entendre à la personne qu’on reçoit qu’elle
    est un sujet de droit, un temps préalable à celui des propositions d’orientation. Quand on
    suppose la demande, la réponse néglige la demande. Les réponses passent par l’écoute.
    L’accueil, c’est une disposition dans laquelle on se met pour écouter, pour entendre. Ecouter la
    demande, ce n’est pas surinterpréter, ce n’est pas anticiper des réponses. Il faut prendre le temps
    d’accueillir les mots de l’usager et ensuite lui expliquer ce que le service est en capacité de
    faire. L’accueil, c’est recevoir l’alter qui n’est pas un alter ego, mais quelqu’un qui a un
    fonctionnement qui lui est propre. Il n’existe pas de trajectoire idéale.
    Là se pose la question de l’accompagnement. Les professionnels doivent évidemment permettre
    à l’usager de s’affirmer comme sujet de droit. Comment ensuite le rendre acteur ? Faut-il faire
    la démarche avec lui ou le laisser se débrouiller seul ? On l’oriente, on le dirige ? L’assuré peutil s’orienter par lui-même dans un réseau si complexe ? Les institutions proposent des réponses
    définies comme l’intérêt de l’usager mais l’accueil inconditionnel c’est un espace ouvert, c’est
    open-bar ! C’est un endroit où le sujet dépose sa problématique avec son rythme à lui. Or on
    ne laisse pas au professionnel le temps d’articuler la réponse à la demande de la personne.
    L’accueil est conditionné par les institutions sans laisser le temps à l’évaluation. Si le
    professionnel fait une orientation qui ne convient pas c’est qu’il a mal écouté, ou il s’est
    cantonné à calquer sa réponse à celle de son alter ego. En réponse à ce qu’il entend, l’animateur
    propose l’expression rencontre inconditionnelle, définie comme point de départ du temps de
    l’usageant, car au-delà des cadres institutionnels c’est une rencontre humaine. Le temps de
    l’usager n’est pas le temps du professionnel, mais il y a le moment ou ces deux temporalités se
    rencontrent. Plutôt que d’accueil inconditionnel, c’est de rencontre dont il s’agit.
    Enfin pour apporter une réponse qualitative, il est indispensable de bien connaître les
    partenaires et d’ainsi traiter ensemble la situation. Les participants constatent, en tant que
    professionnels, les difficultés pour avoir des informations fiables, les attributions pour une
    même structure sont, par exemple, différentes selon les départements ! Les services sont
    dispatchés et les professionnels ne s’y retrouvent pas eux-mêmes, ils n’ont pas connaissance de
    toutes les ressources disponibles, aussi éprouvent-ils la nécessité d’avoir un « service
    collector », un répertoire de tous les services avec leurs compétences. Mais plus qu’un service
    de référence c’est la question du travail ensemble qui est posée : « Grâce à ce groupe, je vois
    les autres services autrement et c’est perdre moins de temps, il va falloir ouvrir les personnels
    des services à cette réflexion. »
  • Une aspiration à ne pas conclure
    C’est « Un temps de questionnement de notre pratique qui n’écarte pas les contextes
    professionnels et les contraintes de chacun. De plus s’il en sort un projet de coopération accrue
    la plus-value sera indéniablement bénéfique aux assurés, à nos partenaires et à nous-mêmes. »
    C’est ainsi que s’exprimait un des acteurs au terme du cycle. Passés les aléas de démarrage et
    l’absence de finalité affichée, les professionnels ont assumé le style de la démarche, ils se sont
    engagés et abondamment exprimés, les actes des séances attestent de la richesse du
    contenu : « se rencontrer et échanger est à nouveau possible ! » Passée la crainte d’une abstraite
    cogitation, c’est bien d’expérience professionnelle dont il fut question. Ce fut un moment
    d’intelligence collective dans le sens ou les échanges ont montré leur fécondité au regard de la
    réflexion individuelle, ainsi que de la prise de conscience du pouvoir de la pensée et de l’action
    collective sur les limites et la fragilité de l’agir solitaire. C’était aussi pour certains la découverte
    des ressources non négligeables dont un territoire dispose et qui sont inexploitées. C’est enfin
    le plaisir de retrouver une autonomie de pensée et de parler : « Condition à dépasser c’est
    possible, jusqu’où on peut s’affranchir de la logique d’enfermement des institutions. Huiler les
    choses ça demande du verbe, ça demande des mots. Le verbe a une vertu dans les échanges
    qu’on a. » De ce point de vue-là, le premier objectif de Pluriact de permettre la rencontre s’est
    bien réalisé.
    Et puis, la sixième séance annonçant la fin des rencontres activait l’omniprésente question
    latente : « Qu’est-ce qui va sortir de tout ça ? », « Espérons que ça débouche sur quelque chose
    de plus concret ! » C’est en effet une chose de prendre conscience de l’errance, parfois de
    l’usager dans le dédale des services et de mettre sur le métier une réponse commune propre à
    guider ses pas : « Qu’est-ce qu’on peut mettre en place ensemble pour que ce ne soit pas le
    parcours du combattant ? Comment avoir une réflexion plus globale ? » Le sentiment
    d’inachevé s’exprime alors : « Dommage que ça s’arrête là ! » « On n’a pas été assez loin dans
    les échanges ! » De nombreuses questions se posent dont la réponse nécessite un travail :
    « Alors que l’institution dicte des conditions d’accueil comment bien répondre à notre public ?
    On n’est pas formé à travailler en réseau. » « Ce serait bien d’avoir un répertoire de personnes
    ressources. »
    Plusieurs professionnels l’ont clairement exprimé, ces échanges ne sont qu’un début : « La
    démarche s’est un stade embryonnaire, à nous de donner de la richesse du sens, huiler les
    rouages. ». Les institutions du social partagent des objectifs communs souvent réduits à des
    préoccupations organisationnelles et structurelles. Elles ont des contraintes qui génèrent des
    frustrations chez les travailleurs sociaux. Alors si l’accueil inconditionnel « a du sens parce que
    quand je parle d’un assuré, nous parlons du même individu mais avec une qualification
    différente selon l’institution, c’est la rencontre inconditionnelle qui donnerait le pouvoir d’agir :
    « comment on redonne de l’existence à nos concitoyens ? » Là s’entrevoit le second objectif de
    Pluriact : faire projet commun.
  • Un appel lancé aux décideurs
    Le territoire dispose de ressources dispersées, les personnels ont un potentiel de travail corseté,
    des énergies qu’il est possible d’activer. Donner du temps à la réflexion collective n’est pas
    perdre du temps, c’est donner du sens et de l’efficience. Aider le travailleur social à sortir de sa
    solitude, c’est libérer son intelligence collective et sa créativité : « Je me rends compte qu’il
    faut poursuivre ce travail même s’il prend du temps sur un quotidien bien chargé. Je réfléchis
    mieux à plusieurs que toute seule. Ma pensée a besoin de rencontrer celle des autres pour
    s’approfondir, avancer, me permettre d’être plus inventive et de sortir de mes évidences. Sans
    les autres, je tourne en rond dans mon individualité restrictive. Collectivement, elle contribue
    aussi à nous sortir de nos solitudes professionnelles. » Ce que le groupe aspire à transmettre au
    Conseil départemental à l’origine de cette démarche c’est la reconnaissance de temps de
    rupture, de temps de réflexion, un bien pour la solidarité sociale, pour le professionnel et pour
    l’usager : « Il y a une demande de tous d’être en rupture pour réfléchir à sa condition d’exercice
    pour échanger avec les partenaires. Ce n’est pas un temps d’inactivité, c’est un temps de
    production active qui nous permet demain de mieux porter les missions de nos institutions. »
  • Guéret, juin 2022