Médecin des champs !

Médecin des champs !  docteur Jean-Claude ETILE

Installé pendant vingt-cinq ans dans un village du sud de la Creuse après sept ans d’expérience hospitalière en médecine interne et aux urgences pour l’essentiel.

Mon expérience lors de mes débuts avec « l’alcoolisme » était essentiellement les ivresses pathologiques, les accidents de la route et professionnels, les complications somatiques sévères de la consommation d’alcool : décompensation oedèmato-ascitique des cirrhoses, neuropathies, démences.

Des cours lointains et restreints sur « l’alcoolisme » le traitement du délirium trémens, nous étions encore au temps de l’espéral, et les notions et les concepts d’addictions apparaissaient à peine dans notre culture de soignant.

Deux chances pour moi la curiosité de l’histoire de chacun des êtres que j’ai croisé, la certitude grandissante que tout individu vivant a quelque part un autre être vivant qui l’attend (raison pour moi suffisante pour être contre toute peine de mort)

Deux handicaps dans la prise en charge des patients être médecin de famille à la campagne c’est être médecin de toute la famille ou d’une grande partie de cette dernière et d’avoir parfois l’impression de ne pas être capable de soutien inconditionnel et impartial pour le malade de l’alcool ; de tous les maux qui peuvent toucher nos patients la plupart nous pouvons les imaginer, savoir qu’ils vont nous arriver un jour ou l’autre, je n’ai eu personnellement à lutter contre aucune addiction (peut-être le travail ?) une cuite sévère à 15 ans et depuis j’ai gardé l’alerte au premier verre le léger vertige la somnolence qui dit que le produit est toxique, idem pour la cigarette ou je me suis appliqué un peu plus mais toujours toux, éternuements, yeux qui piquent, pleurent sans jamais approcher un quelconque plaisir.

Donc pour moi un monde inconnu dont j’ai pu constater les effets négatifs et souvent mortels sans pouvoir imaginer les effets bénéfiques ? Joyeux ? Agréables ? Plaisants ?

J’ai fait avec cette curiosité des histoires et l’incapacité à comprendre émotionnellement les effets bénéfiques de l’alcool.

Mais en posant à la fois ma curiosité et mon ignorance et mon incompréhension, en essayant d’être là et attentif ; il nous est arrivé de pouvoir cheminer ensemble ( je dis-nous parce qu’à aucun moment je n’ai eu le sentiment d’y être pour quelque chose, j’ai senti que nos échanges étaient un travail partagé qui permettait de bouger un peu parfois de juste tenir, de ne pas laisser s’aggraver la situation, parfois de se dire qu’aujourd’hui ce n’était pas possible mais demain, après-demain…

C’est ainsi que petit à petit j’ai commencé à apprendre à comprendre comme dans un lecteur qui pénètre dans un autre univers et j’ai fini par suivre les cours d’un DU D’addictologie.

J’ai vécu des moments intenses de découragements, d’agacement, de colère, d’avoir l’impression de perdre mon temps de ne pouvoir être d’aucune aide et de ne pas avoir les outils personnels et institutionnels. Il est possible qu’un groupe de pair ou une supervision aurait été bénéfiques.

Les familles quand elles sont solidaires et aimantes pour le patient un vrai bonheur pour le travail de soignant, mais je n’ai jamais eu le sentiment que la guérison ou le changement dépendait de la volonté de l’entourage. Il m’a fallu souvent leur dire qu’à la fois leur inquiétude était justifiée mais qu’il fallait être vigilant pour pouvoir apporter leur énergie au moment où le patient est prêt. J’ai souvent vu des patients et des familles qui n’étaient pas synchrones, des familles qui aimantes ne pouvaient pas, ne savaient pas attendre le moment ou le patient se met en marche, c’est là une grande difficulté dans l’accompagnement des familles. A la réflexion il est fort probable qu’une prise en charge des familles de façon collective soit indispensable pas nécessairement dans le cadre d’une institution mais à formaliser par le médecin traitant qui est souvent le premier recours.

Pour en finir je garde deux regrets :

 L’un personnel, nous pourrions nous soignants nous attacher à rechercher pour chacun de nos patients l’état dans lequel il, elle se sent, ce qu’il dit ce qu’elle dit de ses besoins fondamentaux, comment il ou elle fait pour y parvenir ; alors peut-être découvrions nous plus tôt ses addictions et le chemin pour essayer d’en sortir. Ce n’est pas vraiment un regret mais plutôt un chemin vers lequel nous devrions tendre.

L’autre est sociétal et philosophique. Aujourd’hui nous acceptons d’être confinés contre un risque infectieux qui est le risque de tout être vivant une espèce sert de nourriture à d’autre espèces, les mesures prises, les règles adoptées sauveront-elles des patients ou simplement atténueront-elles le pic. En référence deux pages de l’organisation mondiale de la santé l’une sur les effets de l’alcool, l’autre sur les principales causes de mortalité.

Il apparait qu’un décès sur 17 dans le monde est lié à l’alcool, pour les hommes un sur 13 pour les femmes un sur 25. Nous allons admettre que nous devons porter un masque en public que nous devons accepter des règles de distanciation sociale, que nous allons être « traker », pourrions-nous réfléchir au fait que nos discours complaisants sur la convivialité sur les vertus de tel ou tel alcool vont entrainer la mort dans notre tribu mettons d’une cinquantaine de personnes (amis famille, collègues) de trois personnes.

Un président chef de guerre aujourd’hui a dit au lendemain d’une émission ou un ministre de la santé disait que l’alcool est toxique au premier verre, un président chef de guerre a dit « le président Macron a conclu de la plus simple des façons, informant son peuple qu’il buvait du vin, «midi et soir», et qu’on n’embêterait pas, lui présidant, lui buvant, le nectar de la vigne et les vignerons, et ceux qui en font commerce, puisque ce n’était pas leur vin, «le vin français», qu’il fallait contraindre pour juguler l’alcoolisme… Ainsi le souverain a désavoué une ministre de la Santé qui prenait le vin pour de l’alcool,

La maladie de l’alcool est donc une histoire singulière et personnelle mais les institutions pourraient faire un effort qui serait bien plus efficace.

https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/alcohol ,

https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/the-top-10-causes-of-death
http://www.slate.fr/story/158089/emmanuel-macron-vin-midi-soir-emmerder-francais