Le CALME, une THERAPIE INSTITUTIONNELLE en ADDICTOLOGIE

A Cabris dans les Alpes maritimes, un centre de désintoxication présente ainsi son dessein :        

             L’Usager, acteur premier de la thérapie institutionnelle en addictologie.[1] 

« Le respect des droits du patient, en individuel comme en collectif, est la moindre des choses. Les principes et le fonctionnement de la thérapie institutionnelle vont bien au-delà, puisqu’ils positionnent l’usager (patient et ancien patient) comme acteur principal du soin. L’institution soignante n’est plus en position de toute puissance vis-à-vis du malade qui simplement reçoit, mais en devoir (parce que c’est l’outil thérapeutique) de prendre en compte ses désirs et craintes pour l’accompagner vers son autonomie. » Ce sont les termes qui introduisent le projet institutionnel du CALME, Centre d’Action et de Libération du Mal-être Ethylique. Au-delà des mots quelle réalité concrète recouvre cette démarche ?

Ce centre a été créé au début des années 80, à l’initiative d’une équipe pluridisciplinaire (infirmiers, médecins, psychologues, personnels administratifs et d’hôtellerie) animée par un médecin qui avait lui-même pâti des problèmes de l’alcool. C’est donc à partir de cette place d’usager que le projet a été construit lui octroyant d’emblée la parole et des droits. La conception du CALME est le fruit d’une réflexion collective menée dès 1974 dans un autre établissement. Le groupe fait le constat que les souffrances psychiques, les maux physiques et les conséquences sociales de la maladie ne recueillent la plupart du temps que des réponses ponctuelles susceptibles de soulager mais n’engagent pas le patient dans une appropriation de ses soins, via une élaboration  psychique personnelle sur le sens de son addiction.   

La démarche revendiquée est une application de la thérapie institutionnelle (ou psychothérapie institutionnelle) initiée dans l’après-guerre dans les milieux psychiatriques. Elle s’est développée avec les expériences des hôpitaux de Sant Alban ou de Fleury-lès-Aubrais. Elle s’est nourrie de l’engagement des CEMEA dans la formation des infirmiers psychiatriques. Partant du constat de chronicisation des patients, subissant passivement les soins, ce mouvement préconise une formation des personnels, une humanisation des conditions hospitalières. Il rend des droits au patient et lui octroie une position du sujet. Le patient devient acteur de sa thérapie. 

De fait dans les causes et/ou les conséquences de leur maladie, les patients alcoolo-dépendants souffrent d’inévitables blessures psycho-affectives. Elles affectent leur image au plan narcissique : dévalorisation, perte de l’estime de soi… Face aux efforts requis pour lutter contre leur addiction, si leurs droits ne sont pas respectés (respect de la dignité, droit d’être traité avec égard, participer à la décision et consentement libre et éclairé, droit à l’information, exprimer ses griefs…) ; s’ils ne sont pas reconnus en tant que sujet de la parole, ils sont plus que tout autre exposé à un renoncement.

Il en découle l’argumentation suivante (extraits) : « Disponibilité permanente de l’ensemble de l’équipe à l’écoute et au soutien du patient avant, pendant et après la cure (…) Participation active du patient à sa prise en charge soutenue par un ensemble d’outils thérapeutiques (…) réunion institutionnelle hebdomadaire ouverte : patients, familles, correspondants ; lien fort avec les réseaux en amont et en aval. » Droits et place des patients : « L’expression des patients et de leurs proches est favorisée… Les projets de l’établissement intègrent les dimensions de respect de la dignité et de respect de l’intimité du patient… »

La notion d’écoute que tout soignant d’institution psychiatrique est en mesure de revendiquer légitimement prend ici un relief saillant. L’écoute de l’usager n’est pas simplement une norme relationnelle, mais « la base même de la pratique du soin », elle est la condition de la dynamique thérapeutique. Par-delà la satisfaction de l’usager d’être écouté, entendu et reconnu c’est l’efficacité du soin qui est en jeu. La réussite de la cure est totalement tributaire de la qualité de cette relation soignante.   

Cette condition imprime un cadre exigeant dans la mesure où elle dicte toute l’organisation institutionnelle. Un cadre qui ne doit jamais se figer puisqu’il doit rester ouvert à la parole sans cesse renouvelée de l’usager. Deux aspects importants du dispositif sont présentés dans le document : un dispositif interne, la réunion générale et un dispositif de liaison externe, le réseau.

La Réunion Générale est une excellente illustration de l’esprit du CALME. Elle a lieu tous les jeudis sans exception (jours fériés compris). En présence des psychologues, d’une infirmière et d’un médecin, elle réunit l’ensemble des usagers.  Dans sa forme, c’est un temps d’accueil des nouveaux patients par les plus anciens avec en premier lieu : « la présentation détaillée de la cure, ses objectifs, le fonctionnement de l’établissement, les principes de la thérapie institutionnelle, le contrat d’efficacité thérapeutique ». Elle est ensuite un temps de parole des patients les plus avancés dans la cure exprimant leurs remarques, questions, éventuelles doléances mais aussi des futurs curistes et des entourages, C’est enfin un temps d’échanges avec les réponses, les explications et les résolutions d’éventuels problèmes relationnels ou institutionnels. Sur le fond c’est un authentique moment de thérapie institutionnelle, la prise de parole des patients permet d’entendre leurs souffrances et leurs difficultés, mais aussi leur vécu du fonctionnement de l’équipe et de l’institution : « L’équipe doit être capable d’entendre les éventuelles critiques, et y répondre ; c’est son devoir ». Ces critiques pourront être l’objet d’une réflexion collective de l’équipe et permettre le cas échéant des corrections immédiates.

Le Réseau Alcoologie Alpes-Maritimes Ouvert (RAAMO). Créé à l’initiative du CALME, cette association comprend les professionnels de la santé et du social et 6 associations d’usagers du département. Son objectif est d’améliorer les services alcoologiques au niveau préventif et curatif. Elle bénéficie d’un engagement soutenu des usagers en amont et en aval de la cure qui participent d’ailleurs fréquemment aux Réunions Générales du CALME.   

A préciser si nécessaire que l’établissement procède à une double évaluation, la première lors de la sortie et la seconde après coup sur le devenir des patients. Les résultats confirment l’efficacité de ces soins.

En conclusion, il convient de constater la qualité de l’engagement humain, cette expérience de thérapie institutionnelle n’est possible que grâce à la puissante motivation de tous les professionnels, non soignants compris, à maintenir l’usager à une place d’acteur. A cela s’ajoutent la structuration juridique en coopérative dans laquelle la majorité des salariés est associée et donc garante du respect de l’écoute des patients dans la dynamique institutionnelle, la présence permanente d’une ancienne usagère dans le personnel et enfin le désir déterminant des usagers d’être acteurs de leur parcours de soin. 

En revanche, le Centre a déploré dès son ouverture un manque de reconnaissance de la part des tutelles en raison des exigences inhérentes à l’esprit de la démarche. Fondé sur une écoute soutenue des patients, avant, pendant et après la cure (sevrage + thérapie institutionnelle), il nécessite un personnel suffisant, au-delà des normes admises par l’administration. L’aventure s’est donc engagée avec de faibles moyens, sans aucune aide, elle a dû ensuite longtemps se satisfaire d’une tarification inadaptée et ne doit sa survie qu’à la pertinence de son action et disons-le de son succès auprès des patients.

Nous retenons que la pertinence de cette démarche réside d’abord dans le positionnement des soignants auprès des usagers, par ce profond respect de leur personne soutenu par une disponibilité d’écoute exceptionnelle. Elle se complète d’un rigoureux travail auprès des accompagnants, proches, anciens curistes, associations d’aide… un réseau qui contribue au soutien des curistes et… des professionnels. Car cette démarche est inconcevable sans la force du désir qui anime tous ces acteurs.

La concrétisation du projet du CALME en 1982 a inspiré d’autres équipes (à Illiers-Combray en Eure et Loire en 1993, créé par la direction de Cabris, puis dans des Hôpitaux publics : au CHS de Digne, de Dijon, de Sarreguemines, de La Rochelle (le SHALE). Ces services requérant des conditions exigeantes spécifiques, sont hélas souvent réabsorbés par la gestion globale du Centre Hospitalier au nom de la rentabilité mais au détriment de leur pertinence thérapeutique. Le CALME de Cabris lui-même n’est pas à l’abri d’une fermeture[2].

Alain DEPAULIS


1 Cet article tient ses informations du dossier d’internet : www.calme.fr › fichiers › présentationcalme

2. Voir la pétition de mai 2012 sur internet : www.santereseau.com › Sauvons-le-C-A-L-M-E