Infirmière au SHALE (La Rochelle) Geneviève Chaillaud

MON EXPERIENCE D’INFIRMIERE

Ayant eu le privilège d’exercer mon métier d’infirmière psychiatrique au SHALE de La Rochelle, il me semble utile de témoigner de cette exceptionnelle expérience de soins des patients atteints d’alcoolo-dépendance. Dans la première partie, j’ai présenté le stage que j’ai effectué au CALME à Cabris. Dans cette deuxième partie je présente l’ouverture du SHALE et mon expérience personnelle d’infirmière dans cette structure. Marie-Jo GUYONNET a accepté d’apporter son témoignage de maîtresse de maison.

II. Infirmière au SHALE à La Rochelle (17)

Je suis infirmière depuis 1981 dans un service de psychiatrie adulte au Centre Hospitalier de La Rochelle. Dans les années 85-87, notre médecin chef le docteur GUILLON est interpellé par les résultats de la thérapie institutionnelle sur les patients qui ont été en cure au CALME (Centre Aide à la Libération des Malades Ethyliques, voir dossier de présentation sur le site.) Il rencontre cette équipe et décide de sensibiliser la sienne à une autre approche de la problématique alcool et des patients dépendants. Ce projet est accepté et retenu au niveau du Centre Hospitalier de La Rochelle grâce au soutien indéfectible de Monsieur Aubin, directeur du service de psychiatrie dont nous dépendons. Monsieur Aubin, lui-même rencontrera l’équipe du CALME à plusieurs reprises et mesurera la pertinence du projet. Entre 1991 et 1994 le personnel soignant souhaitant rejoindre ce projet de soins (secrétaire médicale, cadre de santé, psychologue, psychiatre et infirmières) iront se former au CALME à Cabris.

Parallèlement à la formation des personnels, les fondations au sens propre de ce service d’alcoologie à La Rochelle  prennent forme. Tout est à créer.

Après de nombreuses recherches c’est le village de Saint Xandre qui est retenu, car il répond à tous les critères souhaités :

  • Sa situation géographique (à huit km du CH de LR auquel il est rattaché)
  • Un village, car plus sécure, plus rassurant qu’une grande ville (avec ses bruits, son anonymat)
  • Un village disposant de tous les commerces (café, banque, pharmacie, superette, coiffeur, fleuriste…). De façon à être au plus près de la vie réelle, il donne à chaque curiste l’opportunité de retrouver les gestes de la vie courante, un quotidien sans alcool. Comme un réapprentissage de la vie dans un environnement suffisamment sécure pour se refamiliariser avec toute ces actions.

Dans ce village de Saint Xandre, une parcelle de terre est disponible.  C’est sur cette parcelle, au bout du village, au milieu des champs que va se construire le SHALE (Service Hospitalier d’Aide à la Libération Ethylique). Pour l’anecdote, sur cette parcelle du nom des Mandries (qui veut dire petite parcelle de terre) étaient autrefois cultivées des vignes !

Bien sûr pour réaliser un tel projet dans cette commune il est nécessaire d’avoir l’aval du maire et de ses conseillers ainsi que celui des villageois et des commerçants auxquels nous allons demander de collaborer. Pour ce faire, il est nécessaire de combattre leurs peurs autour de la personne alcoolique, souvent connue pour sa violence, ses débordements. Ce projet se devait d’être en quelque sorte coopté par tous.

Le SHALE ouvrira en janvier 1995, après un énorme travail de concertation avec les villageois, les commerçants qui vont jouer le jeu en étant attentifs au projet et mettant à la disposition des curistes des produits dépourvus d’alcool. Et même le bar accepte le principe du dernier verre. (La cure débute par le geste symbolique de prendre un dernier verre). Du reste dans les jours qui précèdent l’ouverture officielle, avant l’arrivée du premier groupe, le SHALE organise des journées portes ouvertes pour tous les soignants des services de psychiatrie et pour tous les villageois, l’occasion pour eux de visiter la structure et questionner encore sur le sens du travail qui sera fait (notamment l’intrigant dernier verre pris au café du village)

Le SHALE a une capacité d’accueil de 32 lits, il reçoit une population mixte pour une cure d’une durée de 29 jours. Comme au CALME, l’établissement accueille chaque mardi 6 à 8 curistes qui vont constituer un groupe. Le même jour après le déjeuner de midi, le groupe sortant dont c’est le 29ème jour est prêt au départ après deux dernières activités le matin même.

Témoignage de Geneviève, infirmière.  

Pendant 16 ans j’ai eu la chance d’exercer mon métier d’infirmière au SHALE dans ce cadre de thérapie institutionnelle où chacun a sa place, sa mission dans sa spécificité. Je dis bien chance de travailler ainsi, car ici pas de routine possible.

Chaque mardi est pour moi comme un nouveau départ, c’est une nouvelle dynamique pour tout le monde, toute corporation confondue. En voici les raisons :

Ce mardi accorde deux temps forts (associant l’émotion des curistes sortant et des arrivants) :

  • Pour le départ des curistes, la joie de les voir partir, prêts à affronter leur nouveau défi, après tout le travail qu’ils ont effectué, le courage d’avoir osé cette cure avec toutes les exigences qu’elles imposent. Courage d’être allé jusqu’au bout (au prix d’une difficile remise en question.) Les sortants quittent le SHALE à 13h30, le repas partagé avec les entrants est un encouragement pour les arrivants. Ils ont la preuve d’une reconstruction possible. Quant aux sortants ce croisement avec les entrants sous alcool est un rappel de leurs états de vies passés. Leur départ est un moment d’émotions partagé par eux et par nous. Comme les aînés d’une famille qui quittent la maison et volent vers leur nouvelle vie. Puis joie de découvrir après leur départ leur mot de fin, anecdotes, traits d’humour autour des 29 jours de cure, laissés comme une transmission, un encouragement sur le livre d’OR du SHALE, à la disposition de tous les curistes, est un riche témoignage de leur expérience.
  • Pour l’arrivée des entrants, avec l’importance de ce premier contact, première approche, déclic d’une rencontre. C’est le tout début d’un lien de confiance qui va amener le curiste à accepter de l’aide et à se sentir attendu dans ce lieu. On lui souhaite la bienvenue et on l’aide à y trouver sa place. C’est un point auquel nous accordons une importance majeure. Ce lieu, le SHALE, cette maison lui sera toujours ouvert, même des années après sa cure, c’est sa maison. Ce temps d’échange est si important que nous organisons notre planning infirmier de manière à offrir à chaque curiste cette qualité d’accueil. Après ce temps il y a la rencontre du médecin pour l’anamnèse et l’évaluation du sevrage. Ce temps fort de l’accueil est l’amorce de l’acceptation des soins à venir. Ainsi chaque mardi, chaque curiste, au retour du village après son dernier verre est accueilli par une infirmière quel que soit son heure d’arrivée, se présente par son prénom. En retour elle lui demande le sien tout en lui présentant la maison et le tutoiement. Elle le conduit à sa chambre qu’il partage avec un autre curiste, où vont commencer les soins de sevrage et la vérification de ses médicaments qu’il ne conserve pas. La présentation de la cure lui est faite sommairement (en raison de sa fatigue, de sa quantité d’alcool et de sa capacité à entendre et à recevoir à ce moment-là). Ce temps accordé à chaque curiste est très précieux, c’est une mise en confiance qui se joue. Le curiste doit se sentir accueilli, attendu. Et, moi, Geneviève, de m’interroger : « quel être se cache sous ses loques ? » (A son arrivée le curiste peut se trouver dans un grave état de détérioration psychique, physique, hygiénique et vestimentaire.)

Lorsque ce climat de confiance s’instaure, il va grandir progressivement. C’est notre responsabilité à tous à travers nos différentes spécificités pour que la métamorphose s’opère. Le travail collectif visant à la reconstruction met en lumière l’importance du travail pluridisciplinaire.

Il est utile de préciser comment les relations soignant-curiste sont envisagées dans l’institution.                

La présentation physique. Aucun des membres du personnel ne porte de blouse blanche, il est recommandé d’être habillé de façon classique, simple, de manière à ne pas marquer de différence sociale ou de porter de tenue dérangeante.

La pratique du tutoiement et l’usage du prénom. Dès le premier contact téléphonique le tutoiement est signalé. Et dès cet instant il est perceptible un soulagement sur la distance fixée. On nous interroge régulièrement sur le fait de s’appeler par nos prénoms, cette pratique peut surprendre, mais en général les curistes se l’approprient sans résistance.

Exemples :

1. Un curiste déclare : « lorsque tu m’as appelé par mon prénom et que tu m’as tutoyé, alors que j’avais déjà fait pas mal de cures auparavant, j’ai senti cette fois que je ne pouvais pas me dérober, que c’est bien à moi, au plus profond de mon être que tu t’adressais et non pas à ma représentation sociale M Untel. Et j’ai décidé à ce moment-là de laisser tomber mon masque. » 

2. En raison de problèmes de santé un curiste avait dû passer des examens dans un autre service que le nôtre dans son temps de cure. A son retour il nous a fait part de tout ce qu’il a osé dire en quittant ce service : « Au SHALE, on m’appelle par mon prénom et on me tutoie, ici vous me vouvoyez mais vous me traitez comme un chien ! » C’est une preuve de l’estime suffisante de lui qu’il avait gagné pour oser dire son ressenti !

Témoignage de Marie-Jo, maîtresse de maison.

Le mardi représente un rythme de travail très soutenu. Pour accueillir les entrants, il faut réorganiser toute la maison, car tous les curistes en cours de cure doivent changer de chambre (pour éviter de s’installer dans un rythme avec une même personne). Après avoir été accueilli par l’équipe, le curiste est accueilli dans sa chambre par un autre curiste, un ancien, qui connait déjà la maison, qui a fini son sevrage, et commencé le travail et cet ancien à son tour va accueillir ce nouveau curiste, le prendre sous son aile, être attentif à celui qui va partager sa chambre.

Tout ceci nécessite une véritable organisation en collaboration avec tous les curistes présents et ce avant 9h15 le matin (heure de leurs activités dans la maison)

  1. Au niveau des chambres :

Le curiste s’engage à défaire le lit et refaire le lit qu’il quitte après notre travail de désinfection. C’est pour nous le moment de faire le ménage à fond et de tout le sanitaire de l’étage. Au niveau des curistes, le but est que tout se passe sans heurt, dans la bonne humeur, en remettant du sens sur ces changements hebdomadaires.

  • Au niveau des repas :

De même que les curistes changent de chambre, ils vont aussi changer de table au moment des repas (pour privilégier l’entrant qui est en sevrage). Ce qui nécessite pour les autres curistes qui partagent cette table d’aller chercher les plats à la cuisine attenante.  

Les plats sont préparés par nos soins avec une présentation soignée : il faut que les plats soient colorés, appétant, comme à la maison afin que chaque curiste retrouve plaisir à manger, à partager un repas, ce dont ils n’ont souvent plus l’habitude et depuis bien longtemps. Les tables sont de 4 à 5 personnes, le couvert est mis par les curistes avant le repas, chacun dessert son couvert, sauf le curiste entrant, qui sera servi pendant toute sa 1ère semaine de cure, durant le temps du sevrage il ne connait pas la maison et souvent son état de santé ne lui permettrait pas de le faire (tremblements et autres).

Chaque situation dans la maison (changement de chambre, partage de repas et autres) peut ramener, réveiller des conflits anciens. C’est pourquoi il est si important que chacun dans sa spécificité travaille en cohérence pour l’avancée du patient. C’est grâce à cela qu’en si peu de temps peut s’effectuer sa reconstruction.

Et chaque mardi à 13h30 alors que les membres de l’équipe soignante prennent leur repas dans leur salle à manger (qui est aussi leur salle de travail et de réunion) les curistes sortants sont invités (s’ils le souhaitent) à venir leur dire au revoir, souvent avec beaucoup d’émotion partagée. 

Témoignage de Geneviève, suite.

Autre temps fort du SHALE la réunion institutionnelle qui a lieu le jeudi après-midi. De 13h à 18h, la maison s’ouvre sur l’extérieur, nous recevons et accueillons familles, amis des curistes, futurs et anciens curistes, professionnels (médecin, infirmiers, assistantes sociales, travailleurs sociaux…). C’est le seul moment où les curistes peuvent recevoir des visites s’ils le souhaitent. (Ces visites sont déconseillées pendant la 1ère semaine, les curistes sont encore trop fragiles).

Toutes les personnes accueillies sont invitées à assister à la réunion institutionnelle de 14h30 à 16h30.  C’est un temps qui demande la mobilisation, le soutien de toute l’équipe avant, pendant et après la réunion. Inéluctablement, le travail de cure et la prise de parole des sortants soulèvent beaucoup d’émotion et de questions pour tous les participants et les visiteurs eux-mêmes.

Après la présentation de la cure par le psychologue qui accompagne le groupe sortant, les curistes de ce groupe, sont invités à prendre la parole, à dire seulement ce qu’ils ont envie de partager et les liens qu’ils ont faits avec la problématique alcool. Bien souvent certains d’entre eux utilisent ce temps de parole, ce moment-là, pour lever de lourds secrets. Ils utilisent la maison bienveillante et protectrice pour déposer leur fardeau. Les aînés du groupe sortant montrent ainsi le sens du travail de psychothérapie. Comme nous avons coutume de dire, ils montrent le chemin aux autres curistes, pour leur permettre d’aborder eux même leur(s) traumatisme(s). Chacun au SHALE est garant de ce cadre, c’est à nous tous qu’il incombe de s’assurer que ce lieu soit suffisamment sécure, rassurant, apaisé, pour permettre à chacun de cheminer, d’avancer à la rencontre de ce qu’il est vraiment et ce sans l’alcool.

Témoignage de Marie-Jo, suite.

Un grand moment pour moi est la réunion du jeudi à laquelle nous participons, dans l’écoute et l’accueil de témoignages bouleversants. Les curistes nous remercient pour notre écoute, notre présence, d’être toujours à leur côté. Ce que permet la disposition des lieux : le salon, la salle à manger, la cuisine sont dans le même ilot et communiquent. Les curistes viennent ainsi facilement et régulièrement échanger avec nous qui sommes presque toujours présents dans cet espace. Si l’infirmière est occupée par des problèmes divers (sevrage, téléphone…) c’est nous qui accueillons les anciens et les visiteurs et assurons le téléphone. De même pour tous les autres jours dès le départ de la secrétaire nous avons la responsabilité de tenir la maison. Tout en préparant le diner, nous assurons la sécurité de tout le rez-de-chaussée.

Selon l’intensité de la réunion du jeudi, les curistes viennent s’entretenir avec la maîtresse de maison et l’infirmière,  pour reprendre des points de propositions de travail soulevés pendant la réunion et de questionnements divers. Cette confiance qu’ils ont à notre égard leur permet parfois de nous livrer des traumatismes pas encore abordés en psychothérapie. Ce qui montre bien que l’on fait partie de l’équipe à part entière, et cette reconnaissance enrichit mon statut de maitresse de maison et me conforte dans mon choix de psychothérapie institutionnelle, tout nouveau pour moi, dans lequel j’ai trouvé ma place et me suis épanouie. Cet esprit m’a permis de traverser une épreuve personnelle et m’a été utile dans mes relations avec certains patients.

Le lundi après-midi a lieu la réunion d’équipe à laquelle les maîtresses de maison assistent, ce qui montre bien qu’elles font entièrement partie de l’équipe et ce, toujours dans l’intérêt du curiste.

Témoignage de Geneviève, suite.

Si je dis que ces deux jours lundi et jeudi sont des temps forts c’est qu’ils mobilisent la maison dans son ensemble, curistes et personnel. Cependant en tant qu’infirmière, chaque jour est un temps fort parce que nous travaillons avec tous les groupes et animons diverses activités, que nous appelons outils de travail. Dans ce cadre de cure, une fois le sevrage de la 1ère semaine effectuée, les curistes qui sont en 2ème, 3ème, 4ème et 5ème semaine (toujours avec leur groupe d’appartenance à leur arrivée) vont travailler autour de leur problématique alcool, trois outils comme nous les appelons, parce que lorsqu’ils seront intégrés, ils seront toujours à leur disposition comme la boîte à outil d’un ouvrier, prête à répondre aux situations délicates.

Les outils de travail.

1er outil : les infos (au nombre de huit),

2ème outil : la relaxation (au nombre de treize),

3ème outil : la psychothérapie de groupe que l’on appelle « la bulle » (douze séances)

C’est donc aussi notre travail infirmier que de transmettre et animer ces séances d’information et de relaxation.

  • Les infos, permettent de comprendre comment fonctionnent les différents organes, dont le cerveau ; comment tout se met à dysfonctionner en présence d’alcool, comment s’opère les mécanismes de la dépendance et comment gérer sa vie sans alcool ? Ces huit infos sont hautement complétées par le cours médical présenté par le médecin alcoologue de la structure.
  • La relaxation : treize séances selon la méthode Vittoz.

Cette méthode a été retenue parce qu’elle est facile d’accès pour tous, même pour les personnes ayant des traumatismes moteurs. C’est un travail sur les ancrages (pour bien revenir au moment présent), sur les ressentis (pour gérer les envies d’alcool). Ces treize séances permettent l’alternance de positions allongées, assises, debout, en extérieur comme en intérieur de façon à s’entraîner à gérer toute situation de stress.

Lors de ces séances, des souvenirs traumatiques émergent, accueillis par le soignant et par le groupe ; elles seront retravailler en thérapie de groupe, en bulle.

A préciser que chaque soir à 18h, les curistes sont invités à regagner leur chambre pour un temps de relaxation, occasion pour eux de s’approprier les exercices découverts dans les séances de groupe. C’est une phase intermédiaire qui prépare au temps de détente de la soirée.

Ces activités info et relaxation sont particulièrement riches. Elles demandent déjà aux soignants de se les approprier pour les transmettre et les partager car ce sont de véritables dialogues qui s’instaurent autour de ces activités. Elles sont d’une telle intensité qu’elles nous engagent pleinement. Ses principes s’illustrent dans nos vies et dans nos comportements. Le travail de soignant nécessite, ici plus qu’ailleurs, sincérité et authenticité.

La personne alcoolique a une perception intuitive très grande qui nous oblige à être vraiment ce que l’on est, sans fard, comme il est demandé à chaque curiste de le faire (l’alcool ayant toujours été le masque à toutes les épreuves). C’est aussi rassurant pour le curiste de voir qu’on n’a pas besoin de chercher à être quelqu’un d’autre qui ne nous ressemble pas, à être quelqu’un d’autre pour gagner quelle reconnaissance et auprès de qui ? Cet état d’esprit favorise une  grande liberté entre les soignants et les soignés. En outre, le fait de faire info et relaxation avec les groupes nous permet à nous aussi d’abaisser notre seuil émotionnel et de mieux accueillir et englober les situations de crise qui peuvent survenir dans la maison : crises d’épilepsie, gestion des départs choisis ou imposés lors des ruptures de contrat.

  • Les psychothérapies de groupe, les douze séances se font toujours avec le même psychologue pendant la cure. Elles se font dans un lieu spécifique en forme de bulle, d’où son nom.

La bulle est située dans le jardin, volontairement éloigné du reste de la maison, par souci de confidentialité : tout ce qui est confié ici ne doit pas en sortir et chaque curiste du groupe s’engage à respecter ce secret. Ceci nous amène au contrat de confiance, contrat moral que chaque patient s’engage à respecter sous peine d’interruption immédiate de sa cure si un des points n’est pas respecté.

Il est proposé à chaque groupe une treizième bulle le week-end qui précède la sortie sans le thérapeute, sachant qu’il y aura encore deux bulles avant la sortie.

Au fur et à mesure que j’ai progressé dans mon métier au SHALE, j’ai encore mieux compris comment les trois outils s’articulent, comment ils sont interactifs et le sens de leur chronologie. En fin de cycle les curistes eux-mêmes comprenaient la logique du programme.

Les trois points du contrat moral, dit de confiance.

  1. Pas de consommation d’alcool et de produit illicite.
  2. Pas de relation amoureuse.
  3. Les sorties au bout des 11ème jours, par groupe de trois minima, dans les créneaux horaires définis et dans un périmètre établi.

Le curiste s’engage au respect des horaires de coucher, de lever, de repas et des activités qu’on ne peut suspendre (les outils).

Point important : la semaine de sevrage se clôture le lundi après-midi par la rencontre avec le psychiatre, garant du projet de soin.

  • Il s’assure lors de l’entretien individuel de chacun de la capacité à travailler en thérapie de groupe ou pas, en fonction de sa structure psychique.
  • Il va aussi lors de l’entretien, amener le patient à ouvrir des pistes de réflexion et de travail sur sa propre histoire et voir ce que l’alcool est venue soulager.

Une deuxième rencontre avec ce même psychiatre aura lieu le jeudi matin en fin de cure (avant la réunion du jeudi après-midi) pour s’assurer que toutes les pistes de travail soulevées lors du premier entretien ont bien été abordées.

Un outil dont on ne parle pas comme tel mais qui contribue à l’ambiance sereine de la maison est le feu de cheminée qu’un curiste allume chaque soir et qui aide au bon déroulement de la soirée : possibilité d’échange autour de la cheminée, possibilité de lecture avec une bibliothèque à disposition, (variété de livres souvent offert par des anciens), jeux de sociétés divers (jeux d’argent interdit). C’est un grand salon sans télévision.  

C’est ainsi que l’esprit du SHALE, avec ce mode de travail constitue un espace transférentiel dont nous sommes tous acteurs. Le curiste s’y trouve en confiance, il peut y revenir à tout moment, il y sera toujours accueilli (entretien avec son thérapeute). Le SHALE assure une permanence téléphonique 24h/24, nous recevons régulièrement des nouvelles d’anciens qui vont bien ou pas. Ils partagent avec nous les meilleurs moments (nouveau travail, mariage, naissance, vacance…)  et les plus durs (rechute pour certains, maladies…) A charge pour nous de recevoir avec distance les moments à priori décourageants de rechute… Nous recevons moult appels téléphoniques chaque jour et de courriers auxquels nous répondons au nouvel an.

Chacun comprend combien cette expérience fut riche au plan humain et s’il fallait en tirer les leçons en termes d’efficience thérapeutique, il faudrait d’abord dire ses effets positifs au plan de la personne et la fin de la dépendance. Mais il faudrait aussi dire les épreuves traversées au niveau psychique et physique. A l’issue du séjour, les curistes reçoivent un questionnaire six mois, un an et cinq ans après leur sortie. Les retours nous apportaient parfois de très bonnes nouvelles, voire inattendues, mais conscient qu’une absence de réponse n’était pas un signe favorable, les retours reçus étaient révélateurs du parcours difficile de la personne alcoolique. Il lui faut parfois plusieurs séjours, voire dans des lieux différents afin de faire ce petit pas de plus qui le conduira à la libération de sa dépendance. Combien attestent que le centre est un espace chaleureux (shaleureux disaient-ils) protecteur hors des agressions de la vie et combien le retour à la réalité quotidienne est difficile ! Certes ce principe de cure n’est pas une panacée, mais je veux retenir de cette expérience la parole de ce médecin de Dijon qui nous adressait souvent des malades : « Même si certains patients rechutent après ce travail de cure ils ont retrouvé dignité humaine. »

J’ai adoré ce travail d’équipe avec les différents outils qui offrent une grande diversité entre les soins techniques, les soins relationnels et les activités de transmission (info, relaxation). Quelle riche palette avec tous ces temps d’échange, de rencontre et de partage !

En fait c’est cela il s’agit juste de rencontres, d’aventures humaines.

Merci à tous ceux qui ont permis qu’une telle expérience existe et de m’avoir permis de la vivre, Merci à tous les curistes pour leur leçon de vie dont chacun se nourrissait.

Le SHALE fermera ces portes en 2017.