Témoignage d’Henri, un séjour dans la rue
Contexte du témoignage recueilli auprès d’Henri
Je m’appelle Sandrine, je suis infirmière depuis 29 ans. J’ai travaillé dans un hôpital général durant dix ans puis en psychiatrie dans différents services. Depuis trois ans, j’ai intégré le service précarité et depuis un an, j’interviens dans les différentes structures d’accueil d’urgence (115, SIAO et CHRS) et également dans les établissements accueillants des demandeurs d’asile. Ma mission principale est d’aller vers les personnes en rupture de soins et de les accompagner vers les professionnels sur le plan psychique.
Je souhaite vous présenter le parcours d’Henri, 57 ans que j’ai rencontré en avril 2023 à la demande des travailleurs sociaux du 115.
Henri accepte facilement de me rencontrer. Il pleure durant l’entretien en m’expliquant qu’il a perdu son oncle quelques mois auparavant. Il vivait chez lui et à sa mort, sa famille proche l’a mis dehors. Il explique que son oncle était un pilier dans sa vie. En effet, Henri ne sait pas gérer son quotidien sur le plan administratif et son oncle le guidait dans ses démarches. Son oncle lui donnait également la sécurité au niveau du logement puisqu’il habitait avec lui.
Henri a également subi une trachéotomie en 2018 en urgence sur un cancer du larynx non dépisté avant la trachéotomie. Henri n’a jamais accepté d’être suivi au niveau médical pour ce cancer. Il est en incapacité de me dire le diagnostic. Il m’explique qu’il s’est réveillé un jour avec un trou béant sur la gorge et qu’il ne pouvait plus parler. De fait son élocution est dégradée au point d’en être difficilement intelligible pour ses interlocuteurs. Il a peur des soins médicaux, il les évite au maximum.
Henri vient aux trois premiers entretiens facilement. Il investit l’espace de parole et je fais en sorte de ne pas lui donner de contraintes supplémentaires. En effet, dans le cadre de sa réinsertion au logement, il lui est demandé d’apporter certains documents administratifs. Il a des difficultés de communication (avec la trachéotomie) et des difficultés de compréhension (altéré par sa consommation d’alcool mais aussi par méconnaissance). Il se confronte à ses propres difficultés.
De mon côté, j’essayai de lui faire comprendre qu’il avait besoin de soins car il exprimait des idées suicidaires mais il refusait catégoriquement les consultations avec un psychiatre.
Henri a été orienté vers une pension de famille (maison-relais qui propose un logement pérenne à des personnes en voie de réinsertion). Il est parti au bout d’une semaine et il est revenu sur le 115 et l’abri de nuit. Il demandait à me voir mais n’honorait pas ses rendez-vous. Ses consommations d’alcool étaient de plus en plus importantes. Puis il a refusé d’être pris en charge par le 115 et il dormait dans la rue. Il avait perdu tous ses papiers et son téléphone. Il ne percevait pas non plus son RSA car il avait un compte Nickel (sur le téléphone). Il faisait donc la manche devant une boulangerie de Guéret. Les éducateurs de la « Maraude « allaient à sa rencontre mais il refusait toutes aides. Son état général déclinait. J’ai donc pris l’initiative de lui offrir un café, là où il faisait la manche. Il décrivait un effondrement psychique et pleurait beaucoup durant l’entretien. Il exprimait des idées suicidaires sans scénario ni délai mais il attendait de pouvoir mourir dans la rue. L’isolement était total et il ne voulait voir personne. Il faisait la manche pour acheter à manger et pour s’alcooliser. Il refusait tout traitement et suivi médical. Je lui fais part de mon inquiétude devant son altération de sa santé. Vivre dans la rue a des répercussions physiques et mentales. Ses antécédents de cancer m’inquiètent et je lui dis. Je lui explique qu’une hospitalisation sous contrainte ne peut pas être envisagée ce jour (pas d’éléments) mais le risque d’une dégradation de son état général va le conduire à être hospitalisé et cette hospitalisation risque d’être vécue violemment pour lui. Il m’affirme qu’il ne souffre pas et me remercie de ce temps passé autour d’un café.
Plusieurs jours après ce dernier entretien, il rencontre la chef de service du 115. Lors d’une discussion informelle sur un parking de supermarché, il lui dit qu’il a une fierté qui le bloque à demander de l’aide une nouvelle fois. A partir de ce moment-là, le travail d’équipe des éducateurs a permis à Henri de revenir sur l’abri de nuit et d’effectuer les démarches administratives complexes pour percevoir à nouveau son RSA.
Petit à petit, les entretiens avec moi reprennent et il finit par accepter un accompagnement chez son médecin traitant. Il fait confiance à ce médecin qui le connaît bien et qu’il décrit comme très humain. Le délai pour le rendez-vous avec le médecin généraliste est long (un mois).
Je l’accompagne donc chez son médecin. La consultation dure 45 minutes. Henri a un œdème du pied gauche non douloureux à la mobilisation. Il présente une tachycardie, hypertension. Le médecin essaye de trouver une solution non traumatisante pour Henri et s’adapte au mieux aux réticences du patient. Il lui fait une injection d’anticoagulant dans son cabinet car suspecte une phlébite. Henri accepte la prise de sang et le passage des infirmiers à domicile pour ses injections. Durant la consultation, Henri n’a ressenti aucun jugement du médecin.
Devant son état général incompatible avec le fait de vivre dans la rue, Henri a été intégré au CHRS la semaine suivante pour faciliter les soins engagés par le médecin traitant. L’accueil bienveillant des travailleurs sociaux a permis son intégration dans la structure. Rapidement son état général s’améliore. Il se sent en sécurité, il a un toit pour dormir. Le sommeil est amélioré et il peut dormir quand il le souhaite.
Je l’accompagne une deuxième fois chez son médecin. Ensemble nous persuadons Henri de consulter un psychiatre pour mise en place d’un traitement. La consultation dure également 45 minutes.
A ce jour, Henri est toujours au CHRS. Il a vu le psychiatre et a accepté le traitement.
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Entretien d’Henri effectué le 20 avril au CHRS
S -Depuis combien de temps êtes-vous dans la rue ?
H – Je me suis retrouvé à la rue à la mort de mon oncle. Je vivais avec lui dans sa maison et à sa mort, son fils adoptif a voulu reprendre la maison et m’a mis dehors. Cela fait un an.
S – Qu’avez-vous fait à ce moment-là ?
H – Je suis allé voir une assistante sociale que je connaissais pour mes papiers. Elle m’a amené directement au SIAO/115 avec sa voiture personnelle. Je ne connaissais pas ce dispositif. Je ne savais pas qu’il y avait un abri de nuit à Guéret.
S – Qu’est-ce que vous pensiez à ce moment-là ? Quel était votre état d’esprit ?
H – Je pensais au suicide mais mon oncle ne m’aurait jamais permis de faire ça. C’est cette pensée qui m’a empêché de passer à l’acte. Au SIAO, j’étais soulagé d’avoir un toit sur la tête pour dormir et pour manger. Je me suis bien intégré, je n’ai jamais eu de problème avec les autres. La première nuit, j’ai eu du mal à dormir. Je ne connaissais pas les lieux. Au fur et à mesure, je me suis habitué. L’abri de nuit est ouvert de 18h à 9h. La journée, je restais à la gare et je regardais les gens et les trains passer.
S – Au bout de quelques semaines, vous êtes retourné dans la rue. Que s’est-il passé ?
H – Je me suis senti rejeté. Je devais faire des démarches administratives pour faire une demande de logement. Je me sens rejeté par la société depuis que j’ai la trachéotomie. J’ai peur de parler aux gens. J’ai eu une trachéotomie en urgence et je me suis réveillé un jour avec un trou dans la gorge. Je n’ai pas compris et je l’ai très mal vécu. Mon oncle m’a soutenu durant cette période. A sa mort, plus rien n’avait d’importance donc je ne faisais plus rien. Je n’avais pas l’envie de faire les démarches. En plus, les gens ne me comprennent pas alors me présenter pour leur demander des justificatifs était difficile. Je m’en foutais. Je pense que j’étais dépressif.
S – En effet, vous êtes retourné dans la rue sans revenu car vous ne pouviez pas accéder à votre compte-bancaire ?
H – Oui j’ai dû faire la manche pour la première fois de ma vie et la nuit, je dormais sous le parking de Leclerc. Je dormais que d’un œil avec un couteau dans la poche pour me défendre au cas où. J’avais peur qu’on me tabasse et qu’on me vole. Je n’avais pas grand-chose : mon baluchon, ma montre, mes bijoux et un peu d’argent. Je faisais la manche tous les jours : du lundi au dimanche et du soir au matin. Un soir, une dame a failli m’écraser avec sa voiture et elle a prévenu le vigile qui m’a viré.
S –Pourquoi n’êtes-vous pas retourné au 115 pour demander de l’aide à ce moment-là ?
H – Ils ont d’autres gens à s’occuper, je ne suis pas tout seul. C’est vrai que je consommais beaucoup d’alcool à ce moment-là.
S – Qu’est-ce qui vous a permis de revenir dans une structure d’accueil de réinsertion?
H – Je ne sais pas. Je pense que mon oncle, là-haut, m’aide. Je me suis débrouillé seul. Euh non, les éducateurs du CHRS m’ont très bien accueilli et ont fait tout leur possible pour m’aider. D’ailleurs, je vais chercher le pain pour les aider. Pour moi, c’est très important de me sentir utile. Les éducateurs du 115 ont fait un chouette travail également.
S – Au début, vous refusiez les soins. Pourquoi ?
H – Je m’en foutais. Je voulais mourir et rejoindre mon oncle. Il n’aurait jamais dû mourir. Et puis un jour j’ai accepté d’être accompagné chez mon médecin. Je le connaissais. J’avais confiance en lui. Il ne m’a jamais jugé et il est très humain. Il m’a conseillé d’aller voir un psychiatre. Il fallait que quelqu’un me dise ce qui n’allait pas dans ma tête. Il n’y a que les professionnels pour pouvoir te le dire.
S – avez-vous peur de partir d’ici ?
H – Un peu mais j’aimerai avoir un appartement pour moi et avoir une petite vie tranquille. Je ne veux pas embêter les gens alors je reste dans ma chambre. J’ai très peur de retourner dans la rue. C’est trop dur. J’avais peur qu’on m’agresse et qu’on me vole. Cette semaine, je suis allé à la CAF pour voir si mon dossier était à jour. Je ne sais pas me servir d’un ordinateur ou d’un téléphone donc j’ai demandé et la personne a souri car je suis à jour jusqu’à mai.