Entretien collectif CMP de Crest (26)

Entretien collectif PLURIACT – CMP  (Crest)  09/03/2018

Pour l’équipe composée par le CMP de Crest, l’expérience PLURIACT s’est avérée enrichissante car peu commune. Ce dispositif permet d’aborder d’autres choses que le travail quotidien : une réflexion sur les pratiques propres à l’équipe ainsi que sur celles des autres. La bienveillance des animateurs PLURIACT a permis d’échanger et de débattre et ainsi découvrir la position de chacun des participants.

Pour les partenaires extérieurs, cette découverte de l’équipe a ouvert des perspectives. Cela a permis d’éclaircir le fonctionnement du CMP et de déceler cette envie de travailler ensemble. Ainsi, une parole a pu être relayée sur l’extérieur afin de démystifier le CMP, qui est parfois décrit comme « inaccessible ».  L’équipe du CMP a également pu prendre conscience des attentes des personnes extérieures et des représentations liées à leur fonctionnement. Par le simple fait de se rencontrer et d’échanger, les professionnels ont semble-t-il retrouvé leur statut de personnes.

La démarche est décrite comme une « ouverture de porte ». Cette expérience est pensée comme le support de quelque chose d’autre : à partir d’un vécu commun, l’idée est de faire perdurer des liens et d’en créer de nouveaux. Il s’agit d’une démarche qui doit continuer à se construire, à se créer. Par leur participation à l’atelier PLURIACT, les professionnels considèrent avoir construit une maison et avoir ouvert des portes, des possibles de rencontre. L’ensemble des participants s’accorde sur le fait qu’ils n’en sont qu’aux prémisses d’une réflexion commune.

Cette question de l’ouverture et notamment de la transmission demeure difficile à percevoir. En toile de fond, l’équipe s’interroge sur la reproductibilité de l’expérience vécue. Si la forme apparaît reproductible, le fond qui a animé les échanges semble plus inaccessible, car unique. Il s’agit d’échanges concernant des éléments subtils, une réflexion collective sur ce qu’on a envie de recevoir et de donner. Cette réflexion partagée doit être au service de la personne accompagnée et de sa famille et doit permettre d’œuvrer dans une direction commune, tout en conservant les spécificités inhérentes à l’exercice de son métier. Il est rappelé qu’un enfant seul n’existe pas et que lorsqu’une demande émerge, elle l’est de la part d’un tiers. Néanmoins, il peut y avoir des amalgames entre ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas, avec au cœur de cette interrogation la question de l’intime. En effet, ce n’est pas parce qu’il y a des choses qu’on ne partage pas, qu’on ne partage pas. Cette question du secret est à re-questionner à chaque fois. Il est rappelé que dans un cadre de soins, des éléments ne doivent pas être transmis, afin de respecter l’espace thérapeutique. Cela offre la possibilité à l’enfant et son entourage de se présenter différemment en fonction du lieu. Ainsi, s’il s’avère nécessaire d’échanger, d’ouvrir des portes et de créer des liens avec les différents services, cela ne doit pas se faire au détriment du respect de l’intimité.

Au quotidien, les professionnels sont pris dans des prérogatives diverses. Le fait de s’imposer une contrainte permet de tenir des engagements, même s’il est nécessaire de faire preuve de motivation. Par exemple, le CMP a fait la concession de perdre un temps de réunion clinique les semaines où il y avait un atelier PLURIACT, ce qui a nécessité de trouver des temps d’échanges plus informels sur d’autres moments. Il demeure une part de frustration concernant l’évocation de certains cas concrets, puisque l’équipe s’est mobilisée autour de la « reconnaissance commune » durant trois séances, signe peut-être d’une négligence dans le fonctionnement habituel.

La réflexivité, définie comme le fait de se regarder dans le miroir, est vécue comme douloureuse et difficile à mettre en place. Pour que ce travail s’effectue dans de bonnes conditions, il faut une certaine stabilité d’équipe, des temps d’analyse des pratiques professionnelles, parfois ouvertes sur l’extérieur afin de se questionner sur les fonctionnements et dysfonctionnements, ce qui s’avère chronophage.

Se questionner sur ses dysfonctionnements se fait plus naturellement de manière individuelle que collective. Dévoiler des choses de son fonctionnement, avoir un retour d’expérience et être pris dans un mouvement réflexif n’est pas une possibilité qu’on rencontre souvent. Ce temps s’avère être un luxe dans les différentes institutions.

Ce mot de réflexivité, terme inusité, renverrait à une notion mathématique : lorsque chaque élément correspond à un autre élément. Dans cette idée du miroir et appliqué à une pratique professionnelle : comment je vois les autres et comment les autres me voient. Cela renverrait à WINNICOTT et au visage de la mère : un portage qui n’a pas de dimension tangible, car lié aux affects.

Dans cette dynamique réflexive, l’image de la spirale ascendante apparaît comme une évidente métaphore de l’expérience PLURIACT ! L’idée de quelque chose qui n’aboutit pas, en devenir et dont on peut toujours en dire plus : on repasse toujours par le même point, mais on ne tourne pas en rond, on avance. Se décaler des cas concrets est alors perçu comme un bienfait : la pression sociale renvoie à un chiffrage statistique pour savoir si l’on est opérationnel et efficace. Il est nécessaire d’appuyer sur le frein et de se regarder travailler. Cela est facilité par une présence extérieure, neutre et bienveillante.

Si dans les pratiques, aucun changement notable n’est apparu, le sens du travail en partenariat semble mieux saisi et ainsi moins vécu comme une contrainte. Ce travail partenarial peut s’avérer rassurant et étayant pour certaines familles, mais parfois angoissant, avec un vécu de persécution afférent. Ainsi, il est important que les enfants et les familles puissent refuser et s’opposer à la mise en lien, pour des raisons qui leur appartiennent. La difficulté résidera alors dans le fait de partager que les parents ne souhaitent pas que l’on partage. La question de l’intime est ici au cœur du travail partenarial. Ce qui est dit à un endroit n’a pas nécessité d’être exposé. Parfois, le social empiète sur le soin et il est alors difficile de faire respecter cet espace. Certains jeunes parviennent à le verbaliser en dissociant les espaces et en demandant à ce que les différents espaces demeurent cloisonnés. Concernant la place de l’usageant, les enfants sont décrits comme des sujets, partis prenant de l’accompagnement proposé. S’il ne s’agit pas de les considérer comme de « petits adultes », il n’en demeure pas moins qu’ils ont des choses à dire à tout âge.

En fin de rencontre, est abordé le questionnaire individuel. Ce dernier, faisant suite à un mouvement réflexif, est venu heurter cette dynamique, en rendant cette expérience abstraite en quelque chose de purement concret et chiffré, voire désincarné. Le questionnaire est vécu comme une réduction à une équation mathématique, une perte de substance. Le côté structurel du questionnaire touche ses limites dans la mesure où tout n’est pas transcriptible. Il est difficile de revenir sur le vécu PLURIACT. Le support papier ne doit pas se substituer au temps de la rencontre. Pour certains, il aurait été plus judicieux d’écrire un texte libre, plus spontané, ne portant pas l’appellation de « questionnaire d’évaluation ». Pour d’autres, le questionnaire leur a au contraire permis de structurer leur pensée et de se repencher sur leur expérience, chose qu’ils n’auraient peut-être pas fait. Tous ont insisté sur le côté fastidieux du passage par l’écrit qui a nécessité dans certains cas la relecture de comptes rendus. Ce questionnaire inviterait également au détournement et serait pour certains l’occasion de s’exprimer librement.

La rédaction d’une charte, objectif énoncé par le PLURIACT, est a priori vécue comme l’opposé de la démarche réflexive. Objet stérilisant, cette charte ôterait toute part de créativité au travail collectif.

La notion d’écrit renverrait à quelque chose qui existe et réduirait alors la parole à quelque chose qui n’existe pas. L’accent étant mis sur la pression sociale d’expliquer ce qui est fait. La question demeure ouverte : un écrit est-il vérité ?

Beaucoup de temps informels sont nécessaires à la construction de liens professionnels. Mais ce temps, il est difficile d’en rendre-compte. L’écriture ferme-t-elle la pensée qui deviendrait alors une vérité ou permet-elle d’exprimer une pensée de manière structurée ? L’équipe se questionne sur la perdurabilité du bénéfice des différentes séances. En interne à l’équipe, cette dynamique aurait tendance à s’estomper, contrairement à la dynamique créée avec les partenaires extérieurs.

Compte rendu établi par Florent Mealier