Entretien collectif CRRF de Noth (23)

26/04/2018

La réunion est abordée sous l’angle des grandes mutations du métier de soignant, liées tant à des contingences démographiques que financières : « on a économisé sur le matériel, on en est à économiser sur le personnel ! ». Propos assortis de cette remarque : « votre démarche vient vraiment à point pour s’interroger : comment on se positionne dans ce ‘’nouveau monde’’ ? Comment travailler différemment ? ». De nouvelles contraintes sont imposées alors qu’en même temps on parle de « qualité » et de respect de la parole du patient.

Le travail avec PLURIACT a été vécu comme un temps pour se poser et se questionner : « ça m’a fait du bien ! On est toujours dans l’agir et on a pris le temps de réfléchir ensemble ». Il est important d’entendre ce que les autres professionnels qui travaillent quotidiennement ensemble ont à dire, en dehors de la technicité. Il est constaté que les professionnels n’avancent pas tous à la même vitesse et qu’ils n’ont pas tous la même perception des choses. Être toujours dans l’action induit parfois un oubli de l’objectif principal : « pourquoi sommes-nous là et pour qui ? ». Ce constat revient à plusieurs reprises : prendre du temps, avoir du recul, réfléchir ensemble, mettre des mots sur les choses, s’avèrent nécessaire.

Bien que de nombreux temps de formations soient possibles sur la structure, l’approche psychanalytique proposée par PLURIACT est mise en avant. Il s’agit d’une animation différente, non jugeante, qui permet une totale liberté d’expression « sans aucun frein » et qui s’éloigne de l’approche protocolaire habituelle : « alors qu’on a des liens hiérarchiques avec certains collègues, ça ne m’a posé aucun souci ». La participation à l’atelier étant volontaire, elle nécessite au préalable une aptitude à être dans l’écoute et dans la remise en question. Il est regretté que d’autres professionnels, peut être moins habitués à ce genre de réflexion collective, n’aient pas été présents. Mais il n’est peut-être pas aussi simple que cela de véhiculer l’intérêt d’un espace réflexif.

Les ateliers ont été comparés à un temps d’analyse de la pratique, peu fréquent dans les établissements de soins. Ce temps a également permis de réactiver les relations professionnelles, de se « relancer dans le fait d’aller vers les autres » : « ça m’a ouvert des horizons pour avoir encore plus d’aptitudes à travailler ensemble ». Cela a permis « de percevoir mes défaillances, mes limites », mais aussi de mieux saisir l’évolution des métiers de la santé et « de mieux comprendre l’effet de l’évolution de la profession » sur l’activité de l’établissement. Les séances ont permis de remettre en perspective l’histoire de l’établissement. Le cadre a pu percevoir tous les liens qui s’exprimaient, et a pu entendre les attentes des professionnels et poser ces questions : « comment peut-on se servir de ce qui s’est joué là ? Comment ajuster les réponses au collectif ? Quels liens on peut faire entre le projet d’établissement et la vision de l’établissement de demain ? ». Ce temps est comparé à un « entretien », similaire à celui qu’on peut faire de sa voiture, avec ce sentiment de prendre soin de soi et des autres : « c’est un temps où on a pris soin de nous ! On devrait le faire régulièrement ». Les salariés sont dans une forte demande de pouvoir bénéficier de temps « de recul ».

Mais ce temps est-il transposable ? Il semble difficile de transmettre ce qui a été partagé à une personne qui n’a pas vécu les échanges : « à la fin de la première réunion, j’ai eu un sentiment de bien-être, on avait discuté ensemble […], je voulais en parler à mes collègues, mais je ne suis pas sûre que celui qui n’a pas été là puisse comprendre ce qu’on a ressenti dans le groupe ». Néanmoins, ce qui pourrait convaincre les personnes à participer, ce serait le partage. Le mode de conduite des réunions par deux personnes extérieures, qui ne connaissent pas l’établissement et qui laissent les choses s’exprimer est un trait important de l’expérience, de même que les notions de libre arbitre et de confidentialité : « si ma parole devait être réutilisée, j’aurais pas envie de parler autant ». Les séances se concevraient difficilement si elles étaient animées par un membre de l’équipe. Une participante souligne que l’établissement propose fréquemment des réunions à thèmes, occasions de rencontres et d’échanges où le personnel apprend à se connaître, à s’écouter, à réfléchir, à se questionner, etc.

Les professionnels se rendent compte que le travail des ateliers s’est concentré sur la communication. Il a été pour cela nécessaire de prendre le temps et surtout de s’autoriser à prendre ce temps. Habituellement, la communication se fait de manière informelle, les moments formels n’étant pas toujours proposés sur des temps adaptés à tous les professionnels. La question de l’espace socio-économique se pose à nouveau : le temps de PLURIACT, tout comme d’autres ateliers proposés, sont bénéfiques sur le long terme. Mais comment rendre compte de ces temps qui, contrairement aux actes, ne sont pas cotés ?

La notion de temporalité est présente tout au long des échanges. Elle est citée dès le début, en rapport avec les dysfonctionnements. Mais elle est également liée aux différences des métiers, ainsi que des personnes : « il y a le temps d’un soignant à un autre ». « Quand on a du temps qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on priorise ? ». Face à une situation similaire, deux professionnels n’utiliseront pas leur temps de la même manière. Ce temps, le garde-t-on pour soi, le donne-t-on à un collègue ou à un patient ?

Les termes utilisés pour évoquer les six axes de recherche ont parfois eu un effet inhibiteur. Il s’est avéré nécessaire de reformuler certains termes afin d’entamer la réflexion et les échanges (dysfonctionnement, éthique de la discussion, etc.). Néanmoins, ce côté « abstrait » a permis de stimuler la réflexion : « finalement c’est peut-être pas mal, ça nous tire un peu vers le haut. On n’a pas tellement l’habitude et ça nous oblige à aller creuser plus loin ».

A propos du premier axe de discussion sur les « dysfonctionnements », l’équipe pointe que malgré la négativité du mot, il a été évoqué le fonctionnement général. Le discours de l’équipe s’est finalement avéré plutôt positif. L’équipe se questionnera à ce sujet : « est-ce le signe d’une stratégie d’évitement ou d’un établissement qui ne fonctionne pas si mal » ? Les professionnels s’accordent à dire qu’ils ont un haut niveau d’exigence, corrélé à une envie de bien faire : « on se met la barre haute ! ». La notion d’écrit, véhiculée par le questionnaire individuel en est la preuve. Les membres de l’équipe ont conscience de participer à un travail de recherche et ils veulent prendre le temps de se repencher sur l’expérience vécue pour y répondre convenablement, certains n’hésitant pas à relire les comptes rendus.

Le terme « éthique » suscite une abondante réflexion de l’équipe. Il est d’une part un terme « qui met la pression » : « faut faire attention ! », et d’autre part, il est  synonyme de « garde-fou » : « ça protège des trucs qui sont pas bien ». Il en infère alors un manque de liberté, voire quelque chose d’aseptisé. Dès lors, qu’est-ce qu’on « s’autorise à dire » ? Ce mot apparaît comme compliqué, car abstrait : « je sais pas quoi en faire, alors je vais pas me tracasser ! ». L’exemple d’un patient aux propos venant heurter les idéaux des soignants est débattu. Il est parfois difficile de ne pas juger et de ne pas se projeter. Il est également difficile de ne pas avoir un jugement moral face à certaines déclarations d’un patient. L’éthique implique alors le respect de l’autre et de son projet, aussi déroutant que ce dernier puisse apparaître au premier abord.

La discussion aborde la délicate question des interactions soignant-soigné, avec l’effet des projections personnelles. La complexité du travail en équipe nécessite d’être explicite afin de ne pas projeter des choses personnelles sur le patient. Ce que l’on exprime peut parfois venir heurter l’autre. Il faut être attentif au vocabulaire utilisé et également aux dispositifs déjà existants qui peuvent être améliorés. Il est difficile d’être neutre et de se sortir de l’influence de l’autre et de sa parole, qu’elle soit positive ou négative. Certains professionnels expliquent par exemple ne pas lire les dossiers des patients afin de ne pas être influencés par leur contenu. Malgré ces précautions, il s’avère parfois très difficile de s’extraire de la parole de l’autre. Personne n’est à l’abri d’un jugement, d’autant plus lorsque les propos sont sortis de leur contexte. Le fait d’en avoir conscience est une forme de garde-fou et ainsi un positionnement éthique. Au quotidien, les professionnels luttent contre les préjugés et caricatures des fonctions qu’ils incarnent. Cela nécessite une reconnaissance mutuelle, ainsi que de la confiance dans le travail de l’autre, notamment pour proposer l’intervention de son collègue auprès d’un patient. Si la parole prononcée conditionne notre vision de l’autre, elle n’en reste pas moins une parole dite à un moment donné, c’est-à-dire susceptible d’évoluer, voire de changer, la première impression n’étant pas toujours la bonne !

Les premières idées relatives au terme de « réflexivité » sont : « retour sur soi », « prise de distance » pour réfléchir à son fonctionnement. Cela nécessite une auto-critique, notamment en acceptant de s’être trompé, mais aussi « de revenir en arrière pour proposer  quelque chose de mieux ». Cependant, cette démarche réflexive a le plus souvent un point de départ. En effet, on se questionne rarement lorsque tout va bien, mais plutôt lorsque l’on sent un « décalage », lorsque quelque chose ne fonctionne pas. Il y a nécessairement une situation ou un élément qui interpelle, positivement ou négativement. Mais si cette réaction s’impose plus couramment lorsque les choses ne vont pas, elle peut aussi être utilisée quand les choses vont bien : « moi, je l’entends comme une bonne critique […], y a des moments, on se dit, ah oui, ça a bien fonctionné là, qu’est-ce qui fait que là, j’ai pu réussir ? ». Ainsi, cette capacité réflexive est individuelle et relève aussi de l’éducation. Il s’agit d’un travail difficile et fatigant. Mais peut-être adopte-t-on une posture réflexive malgré soi, sans le savoir, de manière informelle : « lorsque l’on débriefe sur la situation d’un patient, on se questionne bien ! ». Le fait de « se regarder passer dans la rue » permettrait de réactiver et de redécouvrir un savoir appris et probablement oublié. La démarche suscite une aspiration à cultiver la pause et la réflexion : « il faudrait penser à une organisation où on prend le temps de réfléchir, ce serait tout bénéfice ». « Il y a des freins, mais il y a des leviers, il faut en prendre conscience. »

En conclusion, si les effets de PLURIACT ne semblent pas perceptibles immédiatement, le recul permet d’apprendre à mieux se connaître et à se questionner sur ce qui tend à être relégué au second plan, à savoir une « culture de la rééducation ».

D’autres effets sont signifiés, tels que l’inscription de certains professionnels dans des ateliers collectifs, mais également le simple fait d’aller vers les autres. Cependant, il est noté que l’utilisation qui sera faite de ces ateliers demeure individuelle et qu’il semble prématuré de prédire des effets dans la pratique quotidienne. Le sentiment d’être « plus léger » à l’issue des rencontres est également évoqué comme un bénéfice de cette expérience.